La Suisse et le monde

La forêt brûle, la Planète trinque, et les Peuples autochtones boivent la tasse…

La forêt amazonienne brûle. Elle brûle à cause d’un système agro-alimentaire mondial aberrant, où le fast-food et l’agrobusiness sont les deux faces d’un même dérapage global qui porte gravement atteinte à notre santé et à celle de la Terre.

Elle brûle à cause d’un président qui, tel Néron mettant le feu à Rome, restera dans l’histoire comme un des grands pyromanes de la Planète.

Elle brûle et ne repoussera pas de sitôt car:

• Morcelée et réduite dans sa surface, la forêt tropicale voit son système d’évaporation-retombées pluvieuses entravé, s’assèche peu à peu et perd son caractère humide qui fait son exubérance et sa richesse biologique.

• Une fois mis à nu, le sol est rapidement lessivé lors de la saison des pluies, et ce qui en reste transformé en terre cuite par l’ardeur du soleil lors de la prochaine saison sèche. Il n’y a alors plus assez de sol pour assurer une repousse naturelle des arbres (au contraire de ce qui se passe en zone tempérée, où la forêt revient spontanément, par exemple sur les terrains délaissés par l’agriculture, car le support fertile est resté en place).

• Et surtout, une fois déboisée, l’aire naguère forestière est livrée à l’agriculture industrielle et transformée en immenses zones de pâturage ou de production de soja, généralement transgénique (en Amérique latine ; en Asie du Sud-Est, il s’agit avant tout de planter des palmiers à huile).

Ce soja ne sert pas à nourrir ceux qui dans ces régions ont faim, mais à engraisser des millions d’animaux dont la viande sera vendue avantageusement en Europe ou en Chine. D’ailleurs, nous importons chaque année près de 300’000 tonnes de tourteau de soja pour augmenter le rendement laitier de nos vaches – alors qu’on se plaint régulièrement de la surproduction laitière!

Tout ce sol est volé à une biodiversité globale déjà mal en point, et à la résilience climatique, les incendies envoyant d’énormes quantités de CO2 dans l’atmosphère et réduisant d’autant la capacité de stockage par les végétaux de ce même gaz.

Mais ce sol est surtout volé à ses habitant.e.s, les Peuples autochtones.

Qui colonise qui ?

Le président du Brésil accuse Emmanuel Macron, qui le rappelle à ses devoirs, d’ingérence néocolonialiste. Totale inversion de la réalité ! Bolsonaro véhicule l’idéologie des conquistadores, pour qui les Peuples autochtones sont des primitifs qu’il faut civiliser, exploiter ou éliminer physiquement, et pour qui la nature ne peut connaître d’autre destin que d’être « mise en valeur », alors que c’est elle, à travers ses services écosystémiques, qui nous fait vivre. A juste titre, Macron a mis en évidence que la souveraineté nationale ne permet pas de tout faire, et notamment pas de porter atteinte au patrimoine commun de l’humanité ! Il n’y a à ce sujet pas d’indépendance mais que des interdépendances.

Les Peuples autochtones ont une chose essentielle à nous dire. Tout fiers de no facilités, de nos capacités techniques, nous oublions que nos façons de faire et de voir le monde ont à peine quelques siècles. A moins de réaliser rapidement de vrais changements de cap (les bonnes pratiques existent, mais sont loin d’être généralisés), nos acquis sont tout sauf durables. Alors que le rapport à la nature qu’ont développé les peuples autochtones leur a permis de survivre et de vivre depuis des milliers d’années en interaction positive avec leur milieu. Quel est le vrai primitif ? Le prédateur occidental ou l’habitant.e originel.le des lieux ?

Et qui, comme de plus en plus d’experts de la protection de la nature le soulignent, en sont les meilleurs gardiens. Le paradoxe est qu’alors qu’ils commencent peu à peu à être reconnus comme titulaires de droits et partenaires de négociation au sein du système des Nations Unies, c’est sur le terrain national et local que les Peuples autochtones et leurs leaders sont de plus en plus en danger. En danger, parce que leurs lieux de vie sont plus convoités que jamais pour des installations minières, l’agriculture, les grands barrages, le tourisme, dans des concepts de développement qui n’ont rien de durable. En danger, parce que de nombreux Etats tolèrent – voire mènent eux-mêmes – une attitude répressive de plus en plus affirmée.

Une ONG particulièrement attentive à ces enjeux est l’International Work Group for Indigenous Affairs basé au Danemark, qui publie une revue annuelle, The Indigenous World. L’édition 2019 nous apprend qu’en 2017 plus de 400 défenseurs des droits humains et de l’environnement ont été tués de par le monde, dont la moitié étaient des représentants de Peuples autochtones. De nombreux autres sont soumis à des brimades, des restrictions de déplacement et des emprisonnements arbitraires.

L’année 2018 a été marquée par une recrudescence de ces agressions. Cette situation a été dénoncée par la rapporteure spéciale des Nations Unies sur les droits des Peuples autochtones, Victoria Tauli Corpuz; elle est elle-même une autochtone des Philippines, du peuple des Kankanaey Igorot.

Pas de fumée sans feu

L’incendie des forêts amazoniennes survient au moment où le système international est mis à mal par les dirigeants populistes du monde, fondamentalement habités par l’esprit de prédation, de domination et de profit à court terme. On peut le considérer comme l’incendie d’une certaine conception du monde, faite de recherche d’équilibre, de dialogue et de coopération pour un monde viable et vivable.

Il signale le retour de la brutalité, du seul rapport de force, de la domination de l’Homme blanc sur les autres, fussent-ils là depuis des millénaires, et, symétriquement, sur la Nature sans laquelle, pourtant, nous ne sommes rien. Mais, obnubilés par la promesse du progrès – que la devise du Brésil (« Ordre et Progrès ») proclame depuis 150 ans (et dont le côté tragique apparaît désormais à la lueur des feux de forêt) – nous ne voulions pas le savoir. Sous cet angle, il devient clair que le sort infligé aux Peuples autochtones ne fait que préfigurer notre propre sort.

Quitter la version mobile