La Suisse et le monde

La Suisse dans le monde, réflexion à l’occasion de la fête nationale

Si à l’occasion de la fête nationale, nous ne parlions pas de la Suisse, mais de ce monde dont nous dépendons – pour nos importations, nous qui sommes pauvres en ressources, pour notre balance commerciale, pour nos échanges intellectuels et culturels? Et donc de ce que ce monde représente pour nous ? Car il y a péril en la demeure…

A nouveau : la tentation du mal

Telle une épidémie attaquant les neurones de l’humanité, se répandent dans le monde l’»illibéralisme» et la mise en avant de l’égoïsme national à courte vue, l’admiration des hommes forts-chefs de meute, la négation des interdépendances… Et alors que c’est le libéralisme économique qu’il faudrait d’urgence réguler et moraliser, c’est au libéralisme politique et à la capacité de dialogue et de construire des solutions consensuelles que s’attaque le vent mauvais qui souffle.

Oui, vent mauvais, qu’ils s’agisse :
• Du mensonge éhonté revendiqué par des chefs d’Etat comme Trump ou Bolsonaro («Tout le monde mange à sa faim au Brésil ; les photos aériennes du déboisement de l’Amazonie sont des faux et j’y mettrai fin»),
• De la mise en avant d’une des composantes de la nation au détriment des «minorités» (Modi en Inde) au risque de détruire définitivement l’héritage gandhien,
• Des abus des apprentis dictateurs comme Erdogan, Orban ou les dirigeants polonais,
• De la démagogie anti-requérants d’asile la plus primaire à la manière Salvini,
• Des rodomontades agressives de l’ex-agent du KGB Poutine, en passant par la première puissance du monde, la Chine, qui allie le pire de l’étatisme et le pire du libéralisme économique,
… tous ces dirigeants se congratulent, se soutiennent, se ressemblent.

Ce qui a changé en quelques années ? Alors qu’autrefois de tels personnages parvenaient au pouvoir par la force – une insurrection, jadis, de type mussolinien ou, naguère, un coup d’Etat de militaires autoproclamés sauveurs de la patrie, aujourd’hui, les peuples se donnent à eux. Qui n’ont alors plus qu’à cueillir les majorités comme autant de fruits mûrs, puis à les consolider une fois au pouvoir à travers toutes les ficelles de la flatterie, de la dénonciation, du clientélisme et de la répression.

Aujourd’hui comme hier : la faiblesse des démocraties

Comment se fait-il que l’affirmation d’une éthique individuelle et collective, d’un partage de droits et de devoirs, de la dignité de chaque personne, de la coopération internationale et de la démocratie puisse être ressentie par beaucoup comme une utopie d’un autre temps?

Aujourd’hui comme hier, les grands responsables de la tournure que prennent les choses sont ces «décideurs» qui promettent de servir le bien commun mais abdiquent devant la réalité des injustices. Leur difficulté à agir sur les causes des déséquilibres fait confondre démocratie et démission ; leur défaite devient la défaite de la démocratie.

Dans les années 30, c’était bien l’absence de réaction de l’Etat face aux inégalités croissantes et aux crises économiques – additionnée de la manière dont la «paix» a été dictée aux perdants de la première guerre mondiale – qui a fait que les partis fasciste en Italie et national-socialiste en Allemagne ont pu se doter d’une base populaire forte. En prenant les défis économiques et sociaux à bras le corps, Roosevelt grâce à son New Deal a préservé son pays de ce destin.

Par contre, ce qui diffère de cette époque est que 1) ces partis étaient nettement plus violents et extrémistes que le « mainstream » populiste actuel et, que 2), ce dernier est bien plus haut en terme de score électoral, frôlant voire dépassant la barre des 50%. Ce qui ne rassure qu’à moitié, car les extrémismes peuvent se radicaliser toujours plus, comme on l’a vu au cours de la 2e guerre mondiale en Allemagne et au Japon.

Une autre cause de leur montée était aussi la tolérance excessive des démocraties devant les populismes. Le prix ? plus de 50 millions de morts, des souffrances et des destructions inouïes. Plus jamais ça ? Alors, il faut vraiment se réveiller et retenir la leçon: tolérance zéro pour les adeptes de la tolérance zéro. Et se demander comment sortir de là !

Le triple déficit de l’humanisme

La crise de l’humanisme est d’abord une crise de visibilité. Les personnes modérées, pondérées le sont souvent aussi sur le plan de l’expression. Point d’insurrection des consciences, de mise en accusation des destructeurs du respect et de l’éthique, de dénonciation des côtés obscurs de l’humanité. Leurs propos n’«impriment» pas. Or, une certaine virulence, une certaine radicalité s’imposent quand la capacité de l’humanité de gérer son destin est en jeu!

Une crise de l’incarnation, ensuite. De nos jours pas de Mandela ni de Gandhi à l’horizon, ni même de Roosevelt ou de Gaulle, pour activer non les instincts du mal, mais les élans vers le bien.

Enfin, une crise de l’action. Les propos des dirigeants démocratiques sont peu crédibles parce qu’ils ne sont que rarement suivis d’actes – par contre, les mouvements extrémistes appliquent généralement leurs programmes à la lettre. C’est ainsi que le ramassis de vulgarité et d’hystérie intitulé «Mein Kampf» était devenu la partition d’un drame emportant tout un continent.

Le mythe fatal de la « ain invisible»

Que font les dirigeants occidentaux, jamais à court de bonnes paroles, pour imposer l’intérêt général aux destructeurs des équilibres écologiques et sociaux? Pour affirmer les principes démocratiques face aux dictateurs jouant des coudes et offrant d’alléchants contrats? Pour cadrer socialement et environnementalement une mondialisation, qui sinon dérape? Pour endiguer les exigences abusives de nombreux fonds d’investissement et les mettre au service de l’économie réelle? Pour exiger transparence et redevabilité des entreprises transnationales?

C’est bien dans la croyance délétère dans la non-intervention dans l’économie, dans le culte de la capacité mille fois démentie d’autorégulation de cette dernière, que se situent l’origine de cette paralysie, la plupart des dirigeant.e.s des démocraties libérales étant élevé.e.s dans la foi en la «main invisible»… Sans réaffirmation de la légitimité, du devoir, de l’Etat – bien évidemment d’un Etat de droit – à réguler les excès de l’économie, à assurer l’équité et l’égalité de chances et de droits, peu espoir de battre le populisme !

Plus vite dans le mur – grâce à l’extrême-droite

On pensait communément que ce serait le «collapse écologique» qui conduirait au collapse sociétal, au triomphe de la loi du plus fort. Or, c’est l’inverse qui se joue sous nos yeux : une généralisation revendiquée de la loi du plus fort – qui accélère le collapse écologique… Car si l’angoisse fait agir l’être humain, son réflexe est bien plus territorial (défendre son territoire par rapport à des intrus) qu’environnemental (défendre son avenir face à ses propres incohérences).

Greta Thunberg a raison de se faire du souci. Jamais les dirigeants du monde n’ont été si éloignés de se préoccuper des enjeux globaux, de prendre à bras le corps les enjeux du vivre ensemble sur cette Terre. Que de reculs en même pas quatre ans ; l’Accord de Paris paraît aujourd’hui bien loin!

Un point commun aux populistes de tous les pays est bien leur désintérêt pour les enjeux environnementaux. Logique: l’approche d’extrême-droite se résume en ces mots: domination et soumission. Domination de l’Homme sur la nature ; de l’homme sur la femme ; de l’homme blanc sur les autres humains ; de son peuple sur les autres peuples; de majorités conformistes sur les minorités; de dirigeants soupçonneux – mais pas au-dessus de tout soupçon – sur une population prise en tenaille.

Réaffirmer un cadre de référence éthique et s’y tenir

L’alternative au néolibéralisme et au nationalisme qui se soutiennent mutuellement dans leur œuvre de destructuration est dans l’alliance entre le global et le local, du développement durable et des droits humains, de la liberté et de la responsabilité, de la régulation et de l’autonomie. Au stade actuel de son histoire technique, économique, sociale, écologique, l’humanité ne peut s’en sortir qu’ensemble.

Il est temps que se rassemblent autour d’un tel agenda les femmes et les hommes de bonne volonté. Humanistes de toute la Terre, unissez-vous ! Notre politique étrangère ne pourrait-elle pas s’inspirer fortement et clairement de ces priorités et les porter en avant ?

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