La Suisse et le monde

Comment enrayer la montée de l’extrême-droite – ou comment remettre à sa place le cerveau reptilien

Revendiquer le droit de fumer dans les cinémas et les restaurants. Défendre la corrida et la chasse comme preuves de virilité. Combattre comme des déviances promises à la camisole de force les féministes, les végétariens et les homosexuels. Promouvoir le libre port d’armes pour tous (ici les femmes sont les bienvenues). Combattre les migrants, les musulmans, les étrangers. Priorité absolue aux nationaux. Restaurer un Etat centralisé, refuser tout droit aux minorités. Accélérer la course aux armements.

Nier le changement climatique. Exploiter sans merci les ressources des parcs nationaux. Admirer les « hommes forts » et prendre en exemple les régimes dictatoriaux ou autoritaires (Turquie, Chine, Russie…). Faire exploser l’UE et vider l’ONU de sa substance. Dénoncer les « élites » au nom du « peuple », les “élites” étant ici non pas les capitaines d’industrie peu scrupuleux, les profiteurs des paradis fiscaux ou les usuriers de la finance globalisée. Mais tout au contraire celles et ceux qui se réclament de l’humanisme, de l’équité, du vivre ensemble et de la responsabilité écologique et sociale.

Cette liste n’est pas une hallucination, une parodie d’inventaire à la Prévert assemblée de manière aléatoire. Non c’est ce qu’on peut lire dans les programmes de l’extrême-droite globale (que d’aucuns appellent populistes) aux affaires au Brésil, aux Etats-Unis, en Italie, dans divers pays ex-communistes de l’Est, et des partis de cette mouvance qui visent à prendre le pouvoir un peu partout en Europe.

Sachant que la symétrique dans d’autres cultures sont les intégrismes islamiste (il ne s’agit pas – à ce stade – de terrorisme mais de l’imposition de la loi dite coranique, au grand dam des soufis, premières victimes de la radicalisation), bouddhiste (eh oui, par exemple en Birmanie) ou hindouiste (dans une trahison suprême de l’esprit gandhien). Et sachant surtout, que contrairement aux dirigeants démocratiques, ceux d’extrême-droite tiennent généralement leurs promesses.

L’extrême-droite globalisée, tout pouvoir au cerveau reptilien
Cette montée en puissance de l’extrême-droite est en réalité la réponse instinctive, tribale et tripale, aux forces centrifuges et destructurantes de la dérégulation néolibérale. Avec l’inconvénient majeur d’ajouter aux dérèglements d’un marché sans vrai contrôle un dérèglement profond de la gouvernance : au lieu d’avoir un problème, en voici deux !

Ce programme, qui tel un virus intoxique le monde, est exactement celui que produit notre cerveau reptilien. Cette programmation a rendu possible durant des centaines de milliers d’années notre survie et notre succès. Mais aujourd’hui, ayant trop bien réussi, elle nous conduit droit à notre perte.

Comme le dit excellemment le docteur en neurosciences français Sébastien Bohler dans son livre qui vient de paraître chez Robert Laffont «Le bug humain, Pourquoi notre cerveau nous pousse à détruire la planète et comment l’en empêcher »:

«L’être humain est devenu un danger mortel pour lui-même. Son programme neuronal profond continue aveuglément de poursuivre des buts qui ont été payants pendant une grande partie de son évolution, mais qui ne sont plus du tout adaptés à l’époque où il s’est projeté. (…) L’immense cortex d’Homo sapiens, en lui offrant un pouvoir toujours plus étendu, a mis ce pouvoir au service d’un nain ivre de pouvoir, de sexe, de nourriture, de paresse et d’ego»(p. 185).

Chasser en meute, se prendre la plus grande part possible, admirer le chef de meute, consommer et accumuler est exactement ce qui aujourd’hui détruit la base de notre existence commune : la biodiversité, les forêts, les océans, les ressources naturelles et qui nous enfermera sans retour dans notre serre humaine chauffée à blanc.

On l’aura compris : l’extrême-droite, partout au monde, n’est autre que la libération du cerveau reptilien. Au lieu de chercher à le dominer pour réorienter nos capacités vers la gestion commune de notre patrimoine commun, la Terre, on largue les amarres et se précipite au plus vite vers la déflagration, la lutte de tous contre tous pour des ressources mortellement atteintes dans leurs capacités de production.

Le collapsus de la gouvernance et des repères éthiques
On pensait que le collapsus écologique conduirait à ce type de réactions, et tout nous incite en effet à le croire et à le craindre. Mais en réalité, c’est désormais la logique inverse qui est en marche : c’est le collapsus de la gouvernance et des repères ethiques qui précipite le collapsus écologique.

Que faire pour freiner la course à l’abîme ? Croire que les raisonnements même les plus logiques et les plus évidents vont avoir le dessus sur le cerveau reptilien est une illusion et une perte de temps. Seules des émotions positives pourront vaincre les émotions négatives libérées et légitimées par l’extrême-droite : la frustration, la haine, la jalousie, la peur, le complotisme… Seuls des leaders humanistes – au langage fort – pourront y arriver. Tels des Gandhi ou des Mandela, qui surent activer les forces du bien pour contrer les énergies diaboliques du mal. Prêcher la modération ou la raison est largement voué à l’échec. C’est du fond des tripes qu’on peut susciter l’élan vers le bien. Reste à trouver les leaders capables de le faire.

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