La Suisse et le monde

Qui sommes-nous, les Suisses ?

Le début d’une nouvelle année se prête bien au rappel des fondamentaux. S’agissant de notre pays, cela nous conduit à réfléchir à sa nature. Car la Suisse est un des rares pays à ne pas s’être construit autour d’une ethnie mais d’un projet politique. Une chance, mais aussi un engagement. Le projet qui relie les Suisses, depuis les origines ? Sans aucun doute l’idée d’être son propre maître, individuellement et collectivement (sachant que la liberté implique responsabilité et solidarité : tous pour un, un pour tous).

Utopie devenue réalité à travers deux caractéristiques essentielles de notre système institutionnel : la démocratie directe et le fédéralisme. Utopie codifiée et accessible de plus en plus largement, à partir de la refondation de la Suisse en 1848. Mais attention, vouloir se gérer soi-même ne veut pas dire se sentir meilleur, inférieur ou indifférent par rapport aux « autres ».

Interdépendance plutôt qu’indépendance
Car notre indépendance est en réalité une interdépendance. Notre sous-sol est bien trop pauvre pour soutenir le moindre espoir d’autarcie. Consommant donc surtout les ressources d’autres régions du monde, il n’est pas étonnant que notre pays présente une empreinte écologique dépassant de trois fois notre base productive naturelle.

Quant à notre agriculture, elle nous permet de manger un jour sur deux, en moyenne de ses productions, et encore, en faisant largement appel à des matières importées (ingrédients des engrais et phytosanitaires, tourteau de soja, énergies fossiles).

Depuis longtemps, aussi, nous avons appris à identifier les demandes solvables existant hors de nos frontières, non seulement pour nous procurer ces ressources que nous n’avons pas, mais pour engranger des revenus, qui ont fait de notre pays un des plus riches, matériellement parlant, de la planète. Aujourd’hui, entre banques, produits industriels et tourisme, un franc sur deux est gagné dans la relation avec l’extérieur.

Ainsi, travailler sur nos fondamentaux nous rappelle notre dépendance structurelle du monde ; la contradiction avec notre désir d’indépendance est la première ligne de fracture de notre identité politique, la seconde étant la manière dont nous gérons cette situation. Toute discussion sur l’identité nationale qui ferait l’impasse sur ce point conduirait fatalement à l’illusion et à l’échec. Notre identité est biaisée, racornie, rabougrie si elle est enfermée dans l’horizon du seul territoire national. Elle doit nécessairement se préoccuper du rapport au monde.

L’identité nationale suisse : un ajustement constant
La nature politique de notre identité nationale fait toutefois qu’elle se redéfinit en continu à travers les ressentis et les priorités des citoyennes et des citoyens. Tenons-nous à nos valeurs, voulons-nous conserver ce qui a porté la projet Suisse à travers les siècles, qui lui a donné sens et respiration ? A savoir la démocratie directe, le fédéralisme bien sûr, mais aussi le dialogue social, une certaine modestie, le respect des droits individuels, une ambition de sérieux, la cohabitation de cultures différentes, un tissu de droits et de devoirs, la modération dans les disparités de revenus… Tout cela constituant autant d’éléments de la confiance mutuelle.

Leur maintien est bien un combat : combat pour que la démocratie directe ne soit pas accaparée par ceux qui ont le plus de moyens; pour que le fédéralisme demeure créatif et vivant ; pour que la coexistence des cultures soit une interaction et non un chacun pour soi; pour que le dialogue social se développe et que les inégalités se réduisent.

Mais aussi un combat face à ceux qui ont une lecture exclusivement opportuniste du projet suisse : se servir plutôt que servir, placer les intérêts économiques avant toute chose, se réduire au rôle d’affairistes qui s’introduisent dans chaque interstice du monde, prêts à se courber devant les puissants.

Le monde notre destin
La tentation d’occulter nos valeurs fondamentales au profit d’un opportunisme (plus ou moins assumé) dans un monde dont le destin nous laisserait pour le reste froids a toujours été présente. Or, pour peu qu’on y soit vraiment attaché, liberté, solidarité, démocratie apparaissent indivisibles, ont valeur universelle. On ne peut transiger sur ces contenus, sauf à les renier, et donc se renier soi-même en tant que nation porteuse d’un projet politique.

D’ailleurs ce n’est que si nous ne sommes pas seuls au monde à pratiquer la démocratie directe, le fédéralisme, le dialogue social, la coexistence des cultures, un refus des écarts excessifs de revenus que ces valeurs ont un avenir et font sens. Les illustrer et les promouvoir est bien le rôle de notre pays.

Et ce sont ceux-là même qui cherchent le plus à occulter la dépendance de la Suisse face au monde, qui passent leur temps à nier des liens pourtant évidents et incontournables – au lieu de leur donner du sens – qui sont aussi les premiers à promouvoir à l’interne une vision mercantiliste et opportuniste de la Suisse, défendant toujours et partout la prédominance des pouvoirs d’argent, sous couvert de patriotisme. Ce qui n’est que logique: ce qu’on pratique en-dehors du pays, on le pratique aussi à l’intérieur. La Suisse n’a jamais été autant trahie que par ceux qui prétendent au monopole de sa défense.

Quitter la version mobile