Le 10 mars est commémoré dans le monde comme l’anniversaire du soulèvement de Lhassa, en 1959, qui a conduit le Dalaï Lama à prendre la route de l’exil. Deux dates importantes pour notre pays, dans ce contexte :
- 1950 : la Suisse est un des premiers pays à reconnaître la Chine populaire, donc la réalité de la prise de pouvoir de Mao http://dodis.ch/fr/dossiers-thematiques/dossier-anerkennung-chinas-durch-die-schweiz-1950x. Ce qui n’allait pas de soi dans un monde qui des décennies durant persistera à ne voir de pouvoir légitime chinois que dans les rescapés de Taïwan.
- 1960 : la Suisse est un des premiers pays en-dehors d’Asie à accueillir des réfugiés tibétains https://fr.wikipedia.org/wiki/Communaut%C3%A9_tib%C3%A9taine_en_Suisse, un industriel zurichois finançant même l’installation d’un premier lieu de culte bouddhiste, à Rikon http://www.tibet-institut.ch/content/tir/en/monastery.html. Ce qui n’allait pas non plus de soi – ni hier, ni aujourd’hui. Tétanisée par le souci de ne pas fâcher la Chine, dont le PIB a crû entre 1990 et 2012 17 fois plus vite que celui des pays de l’OCDE, la Suisse n’est dans cet engagement plus que l’ombre d’elle-même et dès que le Dalaï Lama pourrait vouloir rencontrer un membre du gouvernement fédéral, ce dernier fait tout pour se cacher.
Que s’est-il passé au Tibet entre ces deux dates ? Mao avait réunifié la Chine, dans le sang et les larmes, après les coups de boutoir coloniaux du 19e siècle (guerres de l’opium, forcing commercial), la lente agonie de la dernière dynastie, les massacres perpétrés par le pouvoir japonais des années 30 et 40 et une longue guerre civile. Mais aussi dans l’espoir d’un renouveau.
Héritier d’une ancienne légitimité, à peine sorti de l’adolescence mais déjà doté des qualités d’humilité, d’intégrité et de sagesse qui le caractérisent, le Dalaï Lama, chef spirituel et politique des Tibétains, prend les promesses de libération et de liberté de Mao à la lettre. Un protocole en 17 points http://www.tibet-info.net/www/L-Accord-en-17-points.html est signé, engagement garantissant l’autonomie d’un Tibet désormais partie intégrante de la Chine. Mais les documents paraphés sont de moins en moins respectés, sur le terrain c’est un grignotage permanent au profit de l’armée et de colons chinois toujours plus nombreux. L’autonomie culturelle et religieuse accordée se réduit comme peau de chagrin et est laissée au bon vouloir des Chinois qui prennent de plus en plus de place.
Le Dalaï Lama jette toutes ses forces dans une négociation permanente avec le pouvoir chinois, parfois reçu avec respect et les honneurs, parfois froidement éconduit. Lassé des manœuvres de la garnison chinoise installée au cœur de la capitale tibétaine, il tente une nouvelle fois de ramener les «libérateurs» à leurs propres principes. La population le croyant prisonnier dans le camp militaire se soulève, et le contraint à fuir. La répression brutale qui s’abat sur la province rétive ne cessera plus, avec un paroxysme lors de la «révolution culturelle» ; 90% des couvents et des biens culturels sont détruits. Depuis, au prix de mille risques, des Tibétains fuient leur pays, et se regroupent sous la houlette du gouvernement et du parlement en exil en Inde http://tibet.net/ .
Quant au Dalaï Lama, il apporte bien malgré lui sa contribution au grand marketing du spirituel. Devenu icône médiatique, il n’en garde pas moins son inimitable rire et sa profonde lucidité. D’innombrables livres lui ont été consacrés, reproduisent ses enseignements, ses paroles, donnant réconfort et motivation de par le monde. Parmi tous les livres, le plus émouvant est sans aucun doute son premier, «Ma Terre et mon peuple» https://fr.wikipedia.org/wiki/Ma_terre_et_mon_peuple, où il détaille par le menu, en 1962, sa lutte pour faire respecter l’accord en 17 points et son départ forcé. Désespérément non-violents, les Tibétains maintiennent contre vents et marées leur identité qui reste très menacée.
Dalaï-Lama ou Mao, deux voies de «libération» radicalement opposées. Celle de Mao fut terriblement violente, tant dans la longue conquête du pouvoir que durant son exercice sanglant. Elle aboutit aujourd’hui à une américanisation à marches forcées de la Chine, les libertés en moins. Celle du Dalaï-Lama nous interpelle à la source de notre humanité, sur nos valeurs, nos vies et nos vrais besoins. Sur le terrain, la force l’a emporté. Mais dans nos cœurs, seul l’esprit est garant d’un avenir qui vaille d’être vécu. Dalaï Lama ou Mao, à chacun de choisir son camp.
