La Suisse et le monde

Climat, terrorisme, migrations…

 

 

Résumée brièvement, l’année 2015 tient en ces trois mots : menace climatique, terrorisme, migrations. Trois enjeux qui ont la compréhensible propriété d’actionner chez les humains des réflexes de peur. Or la peur est rarement bonne conseillère. Trois enjeux qui ont des liens, notamment à travers une matière qui se révèle de plus en plus problématique : le pétrole. Sans pétrole, pas d’Etat islamique. Sans Etat islamique, nettement moins de migration forcée. Sans pétrole, guère de risque climatique… et de devoir devenir réfugié du climat !

 

Les réponses aux menaces terroristes et climatiques sont complexes mais il n’est pas trop difficile de les décrire, et, si la volonté politique est là, de les mettre en œuvre. Par contre concernant la migration, le débat a à peine commencé. Je parle bien d’un débat, pas d’un étalage de peurs ou au contraire de minimisation des enjeux de cohabitation.

 

Premier enjeu : l’histoire de l’humanité. Durant des centaines de milliers d’années, nous avons été nomades, passant d’un terrain de chasse à un autre. Puis depuis quelques milliers d’années, nous explorons les avantages de la sédentarité. Mais les humains n’en ont pas pour autant cessé de migrer. Migrations des Celtes, migrations de la fin de l’Empire romain, migrations des pauvres d’Europe vers l’Amérique et l’Australie, au grand dam des peuples autochtones… Comment travailler sur ces expériences historiques, sur ces réalités, comment en tirer des leçons pour que les mouvements humains soient le moins traumatisants possible ?

 

Deuxième enjeu : la différence. Certes l’humanité est une seule et même espèce, à la fois unie et diverse. Ainsi les habitudes prises, la manière de vivre, de se comporter, les croyances, les aversions et les attirances relèvent de l’unité en ce sens qu’elles expriment les besoins fondamentaux de l’espèce, mais de la diversité en ce qu’elles sont assez différentes et souvent intolérantes entre elles. Humaniser les migrations sera donc aussi un grand travail, en finesse, sur comment faire vivre ensemble des humains qui ont pris depuis des siècles, voire des millénaires, des habitudes différentes. Combien de bagarres, de guerres, de génocides même ne sont-ils pas issus de la détestation du voisin ?

 

Entre ceux qui exaltent le nationalisme ou au contraire s’illusionnent sur un pluriculturalisme gagné sans efforts, il y a place pour des approches objectivantes qui font appel à diverses disciplines, soient conduites par l’efficacité du résultat et excluent toute naïveté. Définir les conditions de la cohabitation est aujourd’hui une clé de survie.

 

Troisième enjeu : le nombre. L’Europe a dû faire face cet automne à 800'000 arrivées non prévues. C’était un souci majeur pour les personnes en charge des migrants, a créé de forts remous politiques, renforcé la méfiance des catégories sociales en difficulté, craignant de devoir partager le peu qu’elles ont avec plus précarisés qu’elles, fait progresser l’extrême-droite de manière importante. Laquelle est capable d’être à la fois proarabe par haine des Juifs et proisraëlienne par haine des Arabes – la déstabilisation de nos sociétés par la montée des inégalités se paie cash…

 

Or cet afflux n’est qu’un tout petit début de ce qui nous attend avec les réfugiés du climat. On annonce pour la 2e moitié du siècle 280 millions de personnes directement menacées par la montée des océans. Les plus grandes villes du monde de même que les régions les plus densément peuplées sont souvent en bord de mer… Comment allons-nous faire face à ce défi, qui va nous concerner en direct, nous qui avons largement contribué par notre consommation insouciante d’énergies fossiles à renforcer l’effet de serre ?

 

La condition que les choses ne dérapent pas est clairement que les populations aient confiance que leurs gouvernements maîtrisent la migration, que celle-ci apporte un plus et que l’on parvienne à organiser l’intégration des arrivants. Dans bien de pays d’Europe, on manque de jeunes, les campagnes se désertifient. L’arrivée de migrants peut aider. Mais à certaines conditions : qu’il y ait la capacité de les accueillir, de les encadrer, de les intégrer aux usages locaux, qui vont bien sûr comme toujours dans l’histoire humaine en être progressivement modifiés, enrichis. Et avec un risque. Personne n’aime que son environnement change sans qu’on l’y associe, voir des personnes aux habitudes différentes, avec lesquelles on n’est pas forcément à l’aise, prendre une place croissante autour de soi, sans avoir une garantie d’interaction positive.

 

L’alternative est un monde ingouvernable, des peuples apeurés imaginant, comme l’Empire romain finissant, s’abriter derrière de futiles murailles et autres lignes Maginot. Plus on veut se couper du monde, plus le monde vient à nous… Sommes-nous prêts à la lutte de tous contre tous, et, en attendant, préférons-nous le confort de ceux qui mettent la tête dans le sable ? Le conflit est programmé, voire la catastrophe, si nous n’affrontons pas le débat. Entre la croyance béate que toute migration est positive par nature et le rejet pur et simple de tout changement, comme toujours, la voie du milieu est la seule possible. Quoi qu’il en soit, l’enjeu de la migration, la gestion de ses modalités et l’action sur ses causes va être un des déterminants de ce siècle et d’un monde que la mondialisation a transformé sans retour.

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