Fairunterwegs (Voyagéthique) : une voix critique du tourisme est en péril

 

L’association Fairunterwegs, créée voici près d’un demi-siècle en arrière, se verra peut-être bientôt acculée à mettre la clef sous la porte. Et ce pour des raisons autant économiques que politiques. Basé à Bâle, la disparition du seul organe spécialisé dans la critique du tourisme en Suisse serait grave et irréparable.

 

 

Une longue et riche histoire

ONG initialement connue sous le nom d’«akte» (Arbeitskreis Tourismus & Entwicklung ; Groupe de travail Tourisme & Développement), son origine remonte à 1977, dans le sillage de l’essor du tourisme de masse à partir des années 1960. L’idée revient à l’historienne Regula Renschler (* 1935), à l’époque coresponsable de la Déclaration de Berne (devenue Public Eye en 2016). Un modeste secrétariat est ouvert à Bâle, en 1978. Grâce à l’appui d’œuvres d’entraide, de cercles religieux éclairés et d’agences de voyage progressistes, l’association voit le jour deux ans après, en 1979. «Akte» devient Fairunterwegs en septembre 2020.

 

Une voix sans ambages qui se détache

«Akte» entame dès sa création un dialogue critique avec les entreprises touristiques. Sous son impulsion, le tourisme finit même par être intégré dans le débat portant sur la politique suisse de développement. L’association mène également un précieux travail de sensibilisation auprès du public (événements, conférences, newsletter…) et dans les centres d’enseignement (dossiers pédagogiques, interventions dans les écoles…). Ainsi, une campagne sur les dérives du volontourisme lancée en 2015 fait grand bruit. Dès 2010, l’association promeut aussi les prestataires touristiques qui s’engagent à respecter les principes du réseau certifiant d’origine sud-africaine «Fair Trade Tourism». «Akte» œuvre de concert avec bon nombre d’ONG, souvent au sein de réseaux, sur les plans helvétique, européen et international. Y compris avec des organisations actives dans le domaine de la protection de la nature. Les infrastructures touristiques n’exercent-elles pas de forts impacts sur les paysages d’ici et d’ailleurs ?

 

Nouveaux médias et thèmes abordés

«Akte» est présent sur internet depuis 1998 déjà et par la suite sur les réseaux sociaux. Le site internet www.fairunterwegs.org fournit de riches informations sur de nombreux pays, mais aussi des tuyaux sur comment voyager de manière éthique tout en minimisant ses empreintes écologique et carbone. Une vaste palette de dossiers thématiques et autres pages complète cette offre dont pêle-mêle l’éthique, les droits humains (que penser du travail forcé et du travail des enfants dans le secteur touristique ?), le développement, le tourisme sexuel (et l’exploitation sexuelle des enfants), l’impact du tourisme sur les communautés locales, le commerce équitable et la problématique du genre. Cette dernière apparaît précocement chez «akte», en 1996, grâce notamment à la secrétaire générale d’alors, Christine Plüss (2001-2019), une «hyperactive de l’engagement» qui a profondément marqué l’association de son empreinte.

 

Faible présence en Suisse romande… pour l’heure

Un pendant romand d’«akte», appelé Groupe Tourisme et Développement, est mis sur pied en 1982. Pour des raisons que j’ignore, il est malheureusement dissous au début des années 1990. Depuis lors, la présence romande relève pour ainsi dire de l’anecdote. S’il est vrai, qu’avec l’italien, le français est le parent pauvre de l’association, quelques pages ont néanmoins été traduites dans la langue de Molière sur le site internet de l’association. En 2020, lors de son changement d’appellation, Fairunterwegs se donne une désignation française au bout d’un débat nourri : Voyagéthique. Cette faible présence romande pourrait changer, pour autant que l’association puisse poursuivre ses activités avec une certaine sérénité et que suffisamment de financement et de forces vives soient rassemblés de ce côté-ci de la Sarine. Il est réjouissant de relever que deux des sept membres du comité directeur sont issus de Suisse romande, à savoir Sophie de Rivaz, chargée de politique de développement au sein d’Action de Carême, de même que l’auteur de ces lignes.

 

Une voix critique plus que jamais nécessaire

Fairunterwegs a pu compter pendant longtemps sur un soutien conséquent régulier de la part de diverses instances fédérales, notamment de la DDC et du SECO, pour mener son travail de critique constructive et de sensibilisation. Les temps ont changé et l’on sabre dans les budgets. Les programmes considérés comme non prioritaires (dont la sensibilisation) ou ne générant pas de retombées économiques mesurables ne sont tout simplement pas reconduits. Ou le but non avoué consiste-t-il plutôt à bâillonner des propos considérés comme vindicatifs ou trop critiques ? C’est en tout cas le sentiment qui prévaut dans de nombreuses ONG helvétiques qui sont victimes de ces coupes claires.

La voix critique de Fairunterwegs demeure pourtant essentielle, et ce en dépit d’une évolution à première vue positive de vastes pans de l’économie touristique. Ainsi, certains acteurs touristiques reprennent à leur compte les principes de la durabilité, ce qui est en soi louable. L’écoblanchiment («greenwashing») n’est toutefois, hélas, jamais loin. Il faut continuer à sensibiliser les potentiels touristes aux impacts du tourisme et in fine à séparer le bon grain de l’ivraie. Son action est non moins incontournable en ce qui concerne les trois dimensions de la durabilité, à savoir environnementale, économique et sociale. À ce sujet, Fairunterwegs s’évertue à ce que l’on ne néglige pas la composante sociale, souvent le parent pauvre de la durabilité. Il suffit de songer aux bas salaires et aux conditions de travail précaires qui sont légion dans le tourisme, ainsi qu’à la surreprésentation féminine parmi les petites mains du secteur.

Le travail d’alerte, de sensibilisation et de recherche que mène Fairunterwegs ne doit surtout pas être discontinué. Il devrait même se voir renforcé au vu de l’expansion sans bornes de l’industrie touristique. Et émerger avec vigueur en Suisse romande par le biais de Voyagéthique. Cette voix critique et progressiste du tourisme est plus que jamais nécessaire. Le remarquable et nécessaire travail mené par Jon Andrea Florin, secrétaire général de Fairunterwegs depuis décembre 2019, et son équipe, de même que par la présidente du comité, Eva Schmassmann, mérite notre plein et enthousiaste soutien sur tous les plans.

 

https://www.fairunterwegs.org/ueber-uns/organisation-francais/

 

Rafael Matos-Wasem

Né en 1961, à Caracas. Suisse, allemand et vénézuélien, Rafael Matos-Wasem est titulaire d'un doctorat en géographie à l'université de Genève et d'un master en études du développement. Il est enseignant de tourisme à la HES-SO Valais et a été professeur invité à l'université Paris Descartes (2011-2017). Il est spécialisé dans le tourisme durable, le tourisme communautaire, le patrimoine et l'histoire du tourisme.

2 réponses à “Fairunterwegs (Voyagéthique) : une voix critique du tourisme est en péril

  1. Est-ce à l’Etat de nourrir les ONG avec les impôts ? Non. Les ONG ont perdu leur crédibilité, c’est devenu un système économique ou chacun cherche le buzz ou le drama pour attirer des financement qui fera vivre l’ “entreprise”.
    Si le CICR a des raisons d’être soutenu, celles plus politiques, non.

    En prônant une autre société au nom de la morale, de l’étique ou de la transition, les ONG se transforment en mouvement politique, ce n’est pas nos impôts qui doivent les nourrir.

    Le sens des coupures de financement est certainement moins le fait de déranger, en gros les gens sont très majoritairement imperméable aux agitations de groupuscules. Par contre, les ONG, en se positionnant dans un esprit politique, pousse l’Etat qui représente la population, à ne pas s’engager surtout si la vocation politique de celles-ci dépasse nos frontières.

    Les ONG occidentales sont certainement très mal vu en dehors de l’occident parce qu’elle représente de façon biaisé la société occidentale démocratique : La morale sociétale.
    Ces ONG font énormément de torts aux relations Nord-Sud. Les ONG sont perçus souvent comme une nouvelle forme de colonialisme de l’occident. Les ONG occidentales n’ont donc rien à faire en dehors de l’occident en attendant des temps meilleurs. La culture occidentale n’a rien d’universelle, du moins pas encore.

    Que chaque région du monde génère ses ONG. Les ONG occidentales doivent se retirer sauf si un pays souhaite explicitement les accueillir.

    Les ONG ont perdu leur aura, à qui la faute ? Une remise en question serait certainement nécessaire.

    1. Vos propos sont en partie fondés, mais il ne faudrait pas généraliser votre analyse.
      Sachez seulement que Fairunterwegs, dont il est question dans mon texte, effectue un travail remarquable en collaboration avec toute une palette d’acteurs, dont certains basés dans les pays du Sud global. Cette association n’a pourtant jamais reçu des montants conséquents pour mener à bien son indispensable travail auprès des acteurs du secteur touristique et du public. Ces modestes sommes lui sont pourtant nécessaires pour son bon fonctionnement.
      Il est en effet nécessaire que le tourisme soit critiqué de manière constructive sur les plans environnemental et social. Et rendre attentifs les potentiels touristes au fait qu’il vaut mieux privilégier la qualité des voyages à la quantité. Qu’il y a également des principes et des critères éthiques à respecter.
      Je peux assurer que Fairunterwegs n’a jamais adopté de posture néo-colonialiste.
      Par ailleurs, tout est politique, y compris sabrer dans le financement.

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