Architextuel

L’étrange maison de Renens

Pas encore livrée à ses futurs habitants, la nouvelle construction de la rue de Verdeaux, attise déjà la rumeur populaire : l’autorité locale aurait laissé s’achever un immeuble « non fini », les services communaux aurait autorisé un « bloc de béton » au cœur d’un quartier bien sous tout rapport, le canton serait complice d’une injure à l’intégration urbaine. Un rapide regard non avisé pourrait se laisser séduire par cette vindicte, cependant elle ne résiste pas à l’aune de la docte raison et de la pensée complexe. Nous l’allons montrer dans les lignes.

Il était une fois une parcelle réputée inconstructible, sur laquelle pléthores d’architectes s’étaient brûlés les ailes face à une nécessaire rentabilité du foncier qui en adoubait la faisabilité. Les distances aux limites de la propriété imposaient une forme bâtie triangulaire de très petite dimension – environ cent-quarante mètres carrés au sol – écartant toute solution traditionnelle. Cette équation projectuelle tendant à l’impossible atterrit sur le bureau de deux jeunes architectes qui l’ont finalement résolue.

vue depuis la rue ©phmeier

Pour réussir ce tour de force, les auteurs ont dû inverser le paradigme de la distribution qu’ils ont extraite hors du cadre géométrique du volume et qu’ils ont accrochée à la façade à la manière d’un « petit Beaubourg ». La surface ainsi gagnée a rendu probable la conception de plans de logements dignes de ce nom. Mais le projet ne s’est pas contenté de cette unique manipulation typologique pour s’inscrire dans un processus plus notoirement contemporain.

En effet, ce modeste édifice locatif de huit appartements présente une intégration contextuelle assez évidente, presque littérale, par son clin d’œil à ce qu’on nomme, de manière générique, la culture du « dix-neuvième ». Or il ne faut pas oublier qu’au début du vingtième siècle la périphérie de l’ouest lausannois s’était déjà préalablement bâtie cette même identité à connotation bourgeoise. Les architectes s’inscrivent donc dans cette continuité analogique, par la déclinaison subtile et codifiée des thèmes afférents à cette période. Elle s’effectue cependant avec toute la distance historique nécessaire dans une attitude à la fois savante mais détachée de toute idéologie référentielle comme celle qui a émaillé la pensée post-moderne des années septante et quatre-vingt.

A Renens les façades sont porteuses à la manière des anciens, mais affichées en béton brut, le couronnement évoque la toiture à la Mansard mais offre une matérialité identique à celle des murs verticaux, les ouvertures sont traitées « à la française », mais sont désalignées d’un étage sur l’autre, les fenêtres sont en plastique bardée d’une fine pellicule d’acier inox, quand le bois noble était la règle, enfin les barrières revêtent un humble grillage industriel en opposition au dessin soigné de la ferronnerie traditionnelle, forgée par l’artisanat local, qui ornait les balcons.

Le projet démontre par quelques détails le dépassement d’une approche qu’on pourrait aisément qualifier de pure opposition à un cadre bien pensant. On se trouve ici devant une conception qui parle de détournements, thématique qu’avait admirablement initiée dans les années nonante, les architectes Herzog & de Meuron. Le marquage des encadrements de fenêtres – thème dix-neuvième par excellence – par un simple sablage du béton, le subtil élargissement des paliers d’escalier pour un usage approprié par le locataire, ou encore la typologie innovante autour d’un noyau de services, sont autant de signes d’une intervention très actuelle.

détail de la toiture ©phmeier

Et si la mise en œuvre est ici plus que minimale, elle ne l’est pas au sens du mouvement qui a fait les beaux jours de l’architecture suisse, à travers la fameuse « Swiss magic box » ou à travers des exemples tendant presqu’à l’art brut comme l’ambassade de Suisse à Berlin ou la maison pour sculptures « La Cogiunta » à Giornico. Elle l’est au sens d’une pensée économique où la pesée de chaque élément constitutif de l’acte de bâtir a rendu financièrement possible cette opération. Elle en devient l’un des facteurs essentiels qui, au final, en a aussi déterminé le langage architectural adopté. Elle a permis en fin de compte – n’est-ce pas la mission première du concepteur ? –, la mise sur le marché de logements de grande qualité. Cette attitude très contemporaine, et très cultivée, rompt avec tout dogmatisme pré-établi et se présente comme une belle leçon d’architecture.

 

+ d’infos

Architectes : dreier frenzel, architecture et communication

Ambassade suisse de Berlin : Diener & Diener, 1995-2000

« La Cogiunta », Giornico, Val Leventina, Tessin, Peter Märkli, 1990-1992

vue d’un séjour ©phmeier
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