La vie autrement

“Avoir” un enfant?

Faire un enfant, avoir un enfant. Ces expressions sont si banales que nous ne prenons guère la peine de nous interroger sur ce qu’elles révèlent. Nous nous sommes collectivement convaincus que nous «fabriquons» des enfants qui, d’une certaine manière, nous appartiennent comme le montre l’usage de l’auxiliaire «avoir». Il semble aller de soi que nous créons la vie par nos relations sexuelles et amoureuses, voire par nos expériences en laboratoire. Mais alors si nous sommes ainsi capables de créer de la vie, pourquoi n’arrivons-nous pas à en créer encore un peu plus, à volonté, quand vient le temps de la mort? Certes, l’homme et la femme conçoivent bel et bien les conditions de l’expression de la vie, par la co-création d’une enveloppe charnelle tangible d’une incroyable complexité et la transmission d’un patrimoine génétique. Mais sont-ils pour autant à l’origine de la vie et de la conscience qui s’expriment à travers cette enveloppe? Le croire, n’est-ce pas faire preuve d’une profonde ignorance et d’une insondable prétention?

Si nous émettons l’hypothèse, non (encore) démontrée scientifiquement mais avancée par maintes traditions, qu’une âme humaine existe non seulement après sa mort mais aussi avant sa naissance, nous mesurons à quel point l’expression «faire» ou «avoir» un enfant est incongrue. Plus juste serait de dire que nous participons à l’expression incarnée d’une vie que nous avons le devoir d’aider à se construire dans son évolution. Vues sous cet angle, les pratiques telles que l’IVG, la PMA et la GPA posent de nouvelles questions insolites: une âme éjectée de sa mère ne souffre-t-elle vraiment pas; comment interpréter le fait de vouloir à tous prix «avoir» un enfant, contre vents et marées; est-ce bien raisonnable de prendre le risque de marchandiser une vie; que vaut le droit de la femme à disposer de son corps face au devoir de l’homme comme de la femme de participer à l’évolution de notre humanité? La vraie question à se poser n’est-elle pas, pour paraphraser Hamlet dans sa célèbre tirade, «to be or to have», «être ou avoir»?

Quant à celles et ceux qui pensent que pour élever un enfant, peu importe qu’il n’y ait qu’une seule mère, qu’un seul père, deux pères ou deux mères ou encore une famille recomposée (en oubliant qu’avant une recomposition il y a toujours une décomposition!), je suggère ces sages paroles de Christian Bobin recueillies dans son livre Le Très-Bas ((folio) : «Il est bon pour l’enfant d’avoir ses deux parents, chacun le protégeant de l’autre: le père pour le garder d’une mère trop dévorante, la mère pour le garder d’un père trop souverain».

(Publié dans L’Écho Magazine de mercredi 11 mars 2020)

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