La vie autrement

Yverdon-la-Bagnole, ou l’avenir dans le rétroviseur

Avec son projet de parking souterrain de 1000 places au centre-ville, Yverdon-les-Bains va à contre-courant de ce que planifient maintes villes européennes.

Nuria Gorrite tient des paroles fort sensées. S’exprimant vendredi passé sur l’action de son Département des infrastructures dans le canton de Vaud, la conseillère d’État socialiste a relevé l’importance de «diminuer la dépendance à la voiture en offrant des alternatives en transport public». Mais à Yverdon-les-Bains, la réalité est tout autre. Entretenir et encourager la dépendance à la voiture, c’est en effet l’une des principales conséquences du parking souterrain de 1000 places prévu sous la place d’Armes au cœur de la deuxième ville du canton, projet du siècle de la Municipalité. Non pas du 21ème mais du 20ème siècle, quand l’urgence climatique et l’effondrement de la biodiversité étaient encore réservés à des lanceurs d’alerte qui criaient dans le désert.

Devant plusieurs centaines d’Yverdonnois invités jeudi dernier à une séance d’information, le syndic PLR Jean-Daniel Carrard a présenté le projet de la place d’Armes comme «un poumon de verdure de 30.000 m2 au cœur de la ville», qui fait «la part belle à la détente et aux loisirs». Résultat d’un accord entre les municipaux PLR majoritaires et socialistes minoritaires, ce méga parking va en fait «aspirer la totalité de la circulation au cœur de la cité», comme le souligne pertinemment dans un récent rapport Roland Villard, ancien président de l’UDC à Yverdon. Sur ce dossier, Les Verts et leurs alliés socialistes n’ont assurément pas le monopole de la lucidité environnementale.

Incohérence

En résumé, après avoir voté à 62% en 2012 en faveur d’une route de contournement (32 millions de francs pour le seul premier des trois tronçons prévus) destiné à écarter les automobiles du centre de la ville, les Yverdonnois glorifient un parking qui va les attirer encore davantage. Quelle incohérence! Le coût total pour la réalisation de ce parking et des aménagements en surface atteint 91, 5 millions de francs dont 37 millions sont à la charge de la commune et 54,5 millions à la charge d’une société privée, Parking Place d’Armes SA, à laquelle la municipalité concède un droit de superficie pour le siècle à venir. Elle lui octroie par ailleurs une garantie de chiffre annuel d’affaires de 2,5 millions par un versement d’un montant maximum de 150.000 francs pendant dix ans. C’est dire à quel point la rentabilité économique de ce parking n’est pas assurée! Même si la Municipalité clame sa volonté de dévier le trafic de transit sur des rues parallèles, maintes études montrent que le détournement d’une circulation n’est à terme pas une solution de fluidité.

Pendant qu’Yverdon-le-Bains s’accroche à un ancien monde, toujours plus nombreuses sont les cités à mettre en place des dispositifs anti-voitures: interdiction en centre-ville, péages urbains, zones réservées aux véhicules électriques, etc. Pontevedra, sur la côte espagnole de Galice, a quasiment fait disparaître les automobiles de son périmètre urbain. Cette cité de 83.000 habitants est devenue une référence mondiale en matière de piétonnisation, d’accessibilité et de développement durable. Plusieurs prix internationaux lui ont été décernés ces dernières années pour sa qualité urbaine et sa qualité de vie, son accessibilité et sa politique de mobilité urbaine. A Madrid, des urbanistes sont en train de réinventer 24 des rues les plus fréquentées de la ville pour la marche plutôt que la conduite.

Projets européens

En Allemagne, Hambourg prévoit de faire de la marche et du vélo ses modes de transport dominants. Au cours des deux prochaines décennies, la ville réduira le nombre de voitures en autorisant uniquement les piétons et les cyclistes à pénétrer dans certaines zones. A Copenhague, plus de la moitié de la population va travailler à vélo tous les jours grâce aux efforts de la ville pour créer des zones réservées aux piétons depuis les années 1960. La capitale danoise compte aujourd’hui plus de 320 kilomètres de pistes cyclables et affiche l’un des taux les plus faibles de possession de voiture en Europe.

Dans le centre de Paris asphyxié par les automobiles, que la maire Anne Hidalgo souhaite piétonniser si elle est réélue, il y aura une navette électrique qui permettra de relier différents points du centre de Paris pour que les habitants, les visiteurs, puissent se déplacer à l’intérieur de ce centre. Enfin, partant du constat que les transports constituent la première source d’émissions de gaz à effet de serre, Oslo, en Norvège, a décidé de bannir toutes les voitures de son centre-ville. En y supprimant 700 places de stationnement, la municipalité a pu y créer davantage de zones piétonnes, d’aménagements cyclables et d’espaces verts. Pour les 5 500 personnes qui vivent et les 120 000 qui travaillent dans l’hyper-centre, c’est une qualité de vie au quotidien nettement améliorée. La ville teste également, actuellement, des systèmes de navette autonome et électrique.

État d’esprit

Certes, Yverdon-les-Bains n’a pas les moyens d’une très grande ville. Mais plus qu’une affaire financière – le projet de la Place d’Armes n’est assurément pas donné! – c’est un certain état d’esprit qui pose problème. Dans cette ville, l’addiction à l’automobile est devenue une constante depuis des décennies. «Si l’on supprime une seule place de parc, c’est l’émeute», me confiait l’ancien syndic de la ville Daniel von Siebenthal, juste avant de démissionner en septembre 2014. Quant à la crainte de voir les commerçants plier bagage si leurs clients ne peuvent pas se garer à quelques mètres de leurs boutiques, elle n’est pas fondée. Comme le souligne Roland Villard dans son rapport, «force est de constater que le problème du commerce local vient avant tout de la concurrence des achats en ligne, de la cherté des loyers ainsi que d’une politique restrictive de la police du commerce». De son côté, Romain Pilloud, secrétaire général de l’Association Transports et Environnement (ATE) dans le canton de Vaud, observe que «des études réalisées en Amérique et en Europe ont déjà démontré qu’une piétonnisation et un accès en transports publics et mobilité douce stimulent le commerce au centre-ville, davantage que par l’accès automobile».

Manque d’imagination

Évacuer les voitures du centre de la ville d’Yverdon-les-Bains n’est possible que si l’on fait preuve d’imagination et d’audace. En créant par exemple des parkings en périphérie et en développant massivement des transports publics attrayants et gratuits. Mais une telle entreprise n’est réalisable que si la population prend conscience qu’elle ne vit plus au 20ème siècle et que les conditions de vie seront toujours plus difficiles avec un climat profondément bouleversé. Or le projet d’aménagement de la surface du parking souterrain ne sera pas le «poumon de verdure» que la Municipalité fait miroiter à la population. Il est en effet illusoire de planter des arbres de grande taille sur une dalle de parking. Dès lors, durant les périodes de canicule qui vont inéluctablement se multiplier et s’étendre en durée, la pelouse du parking deviendra l’endroit à éviter si l’on ne veut pas griller sur place. L’impossible arborisation de la Place de la Riponne à Lausanne, soulignée récemment par l’ATE, en est la démonstration. L’actuel «jardin japonais» apprécié par tous les habitants qui le fréquentent pourrait être développé et aménagé de telle sorte que des espaces dédiés à la culture et aux spectacles soient créés.

Yverdon-les-Bains pourrait devenir un modèle de développement vraiment durable. Mais elle semble préférer tout sacrifier au profit de l’automobile et d’intérêts privés, en regardant l’avenir dans le rétroviseur.

(Sources: Ministère français de la transition écologique et solidaire, Le Monde, Business Insider)

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