La vie autrement

Devenir suisse

Après quarante ans de résidence dans les cantons de Berne, Genève et Vaud, au terme d’une procédure entamée il y a plus de deux ans, me voici donc bourgeois d’Yverdon-les-Bains, donc ressortissant du canton de Vaud, donc citoyen suisse. Une approche ascendante (bottom-up, comme disent les experts) sans doute bien étrange aux yeux de mes chers et toujours compatriotes français, plus habitués à l’approche descendante (top-down) d’un système fortement teinté de jacobinisme! Pourquoi devenir suisse? Donner son grain de sel dans la cuisine politique helvétique, c’est bien sûr une bonne et honorable raison. Mais il y a plus que cela. La naturalisation, en ce qui me concerne, c’est d’abord une histoire d’amour. Ah, ça vous fait sourire? Pourtant, quoi de plus important que l’amour?

Certes, il y a belle lurette que je me suis rendu compte que la Suisse n’était pas au-dessus de tout soupçon. Quand, par exemple, je découvre systématiquement le nom d’une banque suisse juste après la disgrâce d’un despote, quand je constate qu’une mine de la société anglo-suisse Glencore au Pérou intoxique impunément des enfants aux métaux lourds, mon amour pour mon pays d’adoption s’en trouve quelque peu ébranlé. Mais la fin d’un secret bancaire permissif et la perspective d’une initiative pour des multinationales responsables montrent que certains Suisses savent défendre l’essentiel, l’âme de leur pays qui désormais est aussi le mien.

Lors du sommet de la francophonie à Québec en septembre 1987, l’ancien président et poète sénégalais Léopold Sédar Senghor me disait au micro de Radio Suisse Internationale: «La Suisse a réalisé une symbiose des cultures». Quatre cultures rassemblées, une banalité quotidienne qui relève cependant d’un petit miracle permanent. Quelques années plus tard, le philosophe Frédéric Lionel me confiait: «Si l’on repassait la Suisse avec un fer à repasser, son territoire s’étendrait de l’Atlantique à l’Oural. Le fait que celui-ci est concentré sur lui-même, avec ses montagnes d’où les principaux fleuves européens prennent leur source, cela montre que ce pays est un archétype en Europe». Ces paroles révèlent qu’il y a bel et bien de la grandeur dans ce petit pays où l’écoute et le respect de l’autre demeurent d’authentiques valeurs.

Dès lors, quand je vois une partie croissante de la jeunesse se mobiliser pour le climat et la sauvegarde de la biodiversité, je me dis qu’être citoyen de ce pays, cela ne veut certainement pas dire se réfugier dans une neutralité synonyme de passivité irresponsable. Être Suisse signifie aussi, plus que jamais, être citoyen du monde. (Publié dans l’Écho Magazine du 12 février 2020)

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