La vie autrement

De l’autre côté du miroir

Il est tout juste minuit en ce début février 2019. Dans le tunnel des Vignes sur l’autoroute A1, la voiture de Roland (prénom d’emprunt) est violemment percutée par un véhicule circulant à contre-sens à vive allure. Le choc est effroyable. L’automobiliste responsable de l’accident, qui voulait mettre fin à sa vie, s’en sort quasiment indemne. Roland, lui, souffre de multiples et très graves blessures. Transporté par un hélicoptère de la REGA à l’hôpital de l’Ile à Berne, sa vie ne tient qu’à un fil. Non seulement il survit après trois semaines de coma et cinq mois d’hospitalisation, mais il garde en mémoire une expérience qui va le marquer profondément. «Mon fils, je ne te reconnais plus, qui es-tu?», lui demande sa mère, dont la révolte s’est transformée en émerveillement. Le regard lumineux, le jeune homme s’exprime avec calme et sérénité. Sa vie, désormais, a pris une autre dimension.

Sur son lit d’hôpital, la vision s’est faite de plus en plus claire. Comme des séquences d’un puzzle rassemblées dans sa conscience, jour après jour. «Je me suis trouvé en face d’une grande porte en bois massif de couleur brune, semblable à celle d’un château avec sa grosse serrure et sa poignée en fer, se souvient Roland. Derrière moi, j’entendais des voix diffuses, à peine audibles. Je n’avais pas du tout peur, aucune véritable émotion. J’étais tout simplement apaisé. Près de cette porte, j’ai vu dans un halo lumineux mon grand-père maternel, les bras croisés, avec ma grand-mère de coeur, en léger retrait. C’était pour moi une évidence: mes grands-parents décédés étaient là pour m’accueillir». En 2018, son grand-père, atteint d’un cancer des poumons, est mort dans ses bras à l’hôpital.  «Curieux par nature, j’étais bien tenté d’ouvrir cette porte, poursuit-il. Mais une voix se fit alors clairement entendre dans mon for intérieur:  – Si tu franchis cette porte, rien ne sera plus comme avant. Si tu renonces, sache que tu souffriras dans ton corps physique – J’ai alors décidé de retourner d’où j’étais venu».

Aujourd’hui Roland, de nouveau valide, a repris partiellement ses activités professionnelles. Il ne se plaint pas. «J’ai accepté ce qui m’est arrivé» dit-il. La vie lui semble plus intense et plus légère que jamais. Quant à l’automobiliste qui lui a foncé dessus, sans pour autant l’oublier, il lui a pardonné. «Qui suis-je pour juger? La colère et la rancune nous affaiblissent. Or j’ai envie d’avancer». Pensant à ses grands-parents rencontrés près de cette étrange porte, il affirme, avec grande conviction: «Nous sommes toujours accompagnés. Personne n’est jamais seul».

(Publié dans L’Echo Magazine du 18 décembre 2019)

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