La vie autrement

Du plomb à l’or

Après l’ère du plus, de l’accumulation tous azimuts, voici venue l’ère du moins, de l’inéluctable diminution. Moins d’eau pure, de terres fertiles, de poissons, de matières premières indispensables à la vie et aussi moins de biens de consommation, de bagnoles, de smartphones et autres objets non vitaux: il faudra s’y faire. Le réchauffement climatique et l’effondrement de la biodiversité nous obligeront rapidement à bouleverser notre mode de vie dans nos sociétés industrialisées. Est-ce vraiment pour le pire?

La symbolique de la physique nucléaire nous ouvre une piste intéressante. Rêve des alchimistes depuis l’Antiquité, la transmutation du plomb en or est aujourd’hui techniquement possible mais fort difficile et coûteuse à réaliser. L’atome de plomb comprend 208 nucléons (82 protons et 126 neutrons), et celui d’or 197 nucléons (79 protons et 118 neutrons). En bombardant l’atome de plomb dans un grand accélérateur de particules, on pourrait arracher à ce dernier 11 nucléons (3 protons et 8 neutrons) pour en faire de l’or. Mais un tel bombardement pourrait durer des années pour un piteux résultat hors de prix.

Moins d’avoir, plus d’être

Mais ce qui nous intéresse ici, c’est ce que représentent symboliquement le plomb et l’or, ainsi que le passage de l’un à l’autre. Elément toxique, mutagène et potentiellement cancérigène, le plomb est pour les alchimistes le point de départ de tout travail spirituel. Quant à l’or, métal noble et précieux par excellence, il symbolise la pureté, la majesté et le principe divin dans la matière. Si nous admettons que deux natures – pour simplifier – habitent en chacun de nous, l’une inférieure qui nous attire vers de bas instincts égocentriques et l’autre supérieure qui nous élève vers des sentiments d’amour inconditionnel, passer de l’une à l’autre équivaut à transformer, psychiquement et spirituellement, notre plomb en or. Ce faisant, comme le plomb qui perd des éléments (en l’occurrence 11 nucléons) pour devenir de l’or, nous renonçons à de l’avoir…pour gagner de l’être!

En nous contraignant, nous qui vivons dans des pays riches, à vivre avec sensiblement moins de superflu et de gaspillage, la nouvelle ère nous fera goûter à une vie plus sobre et plus heureuse. L’humanité n’aura d’autre choix que de partager l’air pour respirer, l’eau pour se désaltérer, la terre pour se nourrir et le feu pour s’éclairer et se chauffer. Partager, c’est s’enrichir deux fois: de mon propre bonheur et de celui de l’autre. Le partage, c’est finalement une somme des valeurs ajoutées intérieures. Un nouveau PIB?

(Paru dans L’Echo Magazine de mercredi 11 septembre 2019)

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