La vie autrement

Jacques Dubochet: «Lutter pour le climat comme le monde a lutté contre les nazis»

Le prix Nobel de chimie Jacques Dubochet, membre du conseil scientifique de la fondation Zoein, pense qu’il est encore temps de sauver notre civilisation si nous prenons dès maintenant les bonnes décisions. Résolument.

C’est l’histoire d’un grand pétrolier qui navigue depuis longtemps à bâbord parce que son gouvernail est déréglé sans que l’équipage, guère attentif, ne s’en soit aperçu. Jusqu’au jour où le capitaine découvre que son navire va inexorablement s’échouer si la barre n’est pas redressée. Mais comment faire pour arrêter la course folle d’un navire doté d’une si grande inertie? Ce pétrolier, c’est la Terre. Et tant que l’on jettera du CO2 dans l’atmosphère et les océans, il continuera à virer toujours plus à bâbord. Jacques Dubochet, Prix Nobel de chimie en 2017, use de cette métaphore pour nous alerter sur l’urgence climatique. Quand le pétrolier aura cessé de tourner – ce qui est loin d’être le cas – il sera orienté vers un monde inconnu, dont personne ne sait s’il sera ou non viable. «Si l’humanité cesse d’émettre des gaz à effet de serre (GES) au plus vite d’ici 20 ans, elle peut encore espérer s’en sortir avec un réchauffement climatique limité à 2°C. Sinon, le naufrage collectif est programmé». Et le demi- milliard de réfugiés climatiques en quête d’une terre d’asile nous fera regretter le temps où seulement un million de réfugiés secouait les pays européens.

Les grands moyens

«Pour redresser ce qui est tordu, il faut le tordre en sens inverse», dit un proverbe chinois. Pour ce faire, il ne faut pas hésiter à mettre les grands moyens. «L’effort à fournir est au moins aussi gigantesque que celui déployé par les Etats-Unis, le Canada et le Royaume-Uni pour lutter contre le régime nazi mis en place par Hitler durant la Seconde guerre mondiale». Mais ne sommes-nous pas à mille lieues d’une telle mobilisation planétaire? «Regardez ma confiture sur le feu, remarque Jacques Dubochet. Certes, ce n’est pas un gros bouillon mais cela frétille de tous les côtés. La conscience planétaire commence elle aussi à bouillir. Ce sont les faits déjà bien visibles du dérèglement climatique et de l’effondrement de la biodiversité qui font bouger les esprits».

 L’exemple de la Chine et de la Suède

Les pays phares? Le biochimiste et universitaire vaudois cite la Suède qui s’est engagée à réduire ses émissions nettes de carbone à zéro d’ici 2045, et la Chine. Malgré une dépendance encore importante au charbon, l’empire du Milieu est devenu depuis quelques années la championne du monde des énergies renouvelables. Ce pays est aujourd’hui à l’origine de plus du tiers de la production mondiale de panneaux solaires et l’un des plus gros producteurs d’éoliennes au monde.

Dans un pays comme la Suisse où environ un tiers des émissions de GES proviennent des transports, dont les deux tiers sont à imputer aux voitures selon le WWF, une solution radicale serait de supprimer d’ici dix ans les véhicules privés et de les remplacer par des véhicules auto-conduits électriques. Il s’agirait d’un service public adapté aux besoins de la population, chaque engin transportant un à plusieurs passagers selon les circonstances. Du coup, de nombreuses routes seraient abandonnées au profit de chemins pédestres ou de pistes cyclables.

Chauffage écologique

Concernant le chauffage, Jacques Dubochet donne l’exemple d’un ami qui, durant son mandat de maire d’Unterhaching, dans la banlieue sud de Munich, a fait de sa commune une ville zéro carbone en seulement douze ans. Puisant de l’eau à 135 degrés, à 2000 mètres de profondeur, le magistrat a construit une grande usine de géothermie, tout un réseau de distribution et mis au point une technologie sophistiquée pour que la température soit adaptée au chauffage. Non seulement les plus de 20.000 habitants d’Unterhaching se chauffent de manière écologique mais ils produisent plus d’électricité que nécessaire, pouvant ainsi la redistribuer aux communes avoisinantes. Certes, observe le biophysicien, toutes les communes n’ont pas à disposition un sous-sol gorgé d’eau chaude, mais elles seraient bien avisées de monter un réseau de distribution que pourrait alimenter diverses sources d’énergie non encore exploitées, comme par exemple le biogaz fourni par la station d’épuration. «Chaque commune ne devrait avoir qu’un objectif qui écrase tous les autres, celui de sauver notre civilisation». Conseiller communal de Morges depuis 2011, le Prix Nobel ne désespère pas de se faire enfin entendre. PLB

 

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