Kenel de Requin

Tschäppät et Dieudonné: le politicien humoriste et l’humoriste politicien

Les derniers jours de l’année 2013 et les premiers de l’an 2014 ont été marqués par deux affaires mêlant humour et politique. D’un côté, le maire socialiste de Berne, Alexander Tschäppät, s’est permis dans le cadre de Das Zelt, spectacle comique itinérant, de faire des « plaisanteries » au sujet des Italiens. Il a notamment dit «Savez-vous pourquoi les Italiens sont tous petits? Parce que leur mère leur dit toujours que, lorsqu’ils seront grands, ils devront travailler». D’un autre côté, Dieudonné M'bala M'bala, qui fut à une époque humoriste et qui se présenta aux élections européennes de 2009 sur la liste antisioniste s’est vu interdire son spectacle «Le mur» par le Conseil d’Etat en France. Cette décision concerne indirectement la Suisse puisque Dieudonné M'bala M'bala doit, en principe, présenter son spectacle du 3 au 5 février 2014 au Théâtre de Marens à Nyon.

D’emblée, je tiens à préciser, afin qu’il n’existe aucune ambigüité dans mes propos, que s’il existe un lien entre ces deux affaires dans la mesure où elles mélangent «humour» et politique, je ne fais aucune comparaison entre Alexander Tschäppät et Dieudonné M'bala M’bala. Merci d’en prendre note.

Le comportement du maire de Berne suscite trois remarques:

Beaucoup de choses ont été dites et écrites concernant Dieudonné M'bala M'bala, son spectacle « Le mur » et son interdiction. Je souhaite néanmoins souligner trois points:

Dieudonné M'bala M'bala n’a rien à voir avec Coluche. Par ailleurs, le «système Dieudonné» consiste à donner un caractère présentable à des idées, des gestes ou des chansons en y insérant, en réalité, un contenu antisémite. Trois exemples démontrent cette manière de faire. Dieudonné M'bala M'bala se prétend antisioniste en mettant dans ce concept le contenu de l’antisémitisme. Il donne le nom de Chaud-ananas à une chanson dont le message réel est Shoah-nanas. Il fait le geste de la quenelle en prétendant qu’il s’agit d’un geste antisystème alors qu’il est évident, notamment vu les lieux où il est commis, qu’il s’agit d’un geste antisémite. Il est fondamental d’expliquer, aux jeunes notamment qui se laissent piéger par Dieudonné M'bala M'bala le message réel de ce qu’ils disent, de ce qu’ils chantent ou de ce qu’ils font.

Je regrette que, dans un premier temps en tout cas, cela n’a pas été l’attitude de la Municipalité. Tout en reconnaissant que cela a peut-être été dû au fait que le syndic, Daniel Rossellat, était en vacances, la position des autorités nyonnaises a donné l’impression qu’elles ne voulaient pas interdire le spectacle, qu’elles condamnaient, et il faut le souligner, le contenu antisémite que celui-ci pourrait avoir, mais qu’elles ne voulaient pas trop se soucier de ce qui se passerait au Théâtre de Marens du 3 au 5 février prochain. 

Évidemment, et je le comprends, leur position a changé suite à la décision du Conseil d’Etat. En effet, la Municipalité craint si «Le mur» ne peut pas être produit en France, que Nyon soit non seulement la capitale du football européen, mais devienne également le seul endroit où «Le mur» peut être vu. Le malaise qui résulte de l’attitude des autorités nyonnaises est que, vu qu’elles n’ont pas immédiatement déclaré qu’elles contrôleraient si le droit suisse est violé au Théâtre de Marens, que leur changement de position est plus dû au risque réputationnel pour la ville qu’à la problématique de l’antisémitisme de Dieudonné M'bala M'bala.

À l’heure où il appartient à la Municipalité de Nyon de décider d’une nouvelle stratégie, vu notamment l’interdiction prononcée par le Conseil d’Etat et le fait que Dieudonné M'bala M'bala a décidé de présenter un autre spectacle dans l’hexagone, il est important de ne pas se précipiter. En effet, autant il aurait été important d’agir juste et vite il y a quelques jours, autant la précipitation serait mauvaise conseillère actuellement. Deux paramètres doivent être pris en considération avant d’interdire ou non le spectacle de Dieudonné M'bala M'bala: est-ce que ce dernier souhaite présenter à Nyon «Le mur» ou le spectacle de remplacement, intitulé «Asu Zoa» présenté en France? Si Dieudonné M'bala M'bala opte pour ce nouveau spectacle quel en est son contenu?

Il va de soi que si la ville de Nyon est le seul endroit où il est possible de voir « Le mur », le risque que les manifestations se concentrent en ce lieu, et par conséquent, le risque de troubles à l’ordre public, seront plus élevés. Par ailleurs, il importera de récolter l’avis d’avocats spécialisés en la matière afin d’éviter qu’une décision d’interdiction soit cassée par le Tribunal fédéral comme ce fut le cas en 2010 lorsque que les autorités genevoises ont interdit le spectacle de Dieudonné M'bala M'bala. En effet, une défaite devant notre haute cour serait une victoire pour Dieudonné M'bala M'bala et pourrait, indirectement, fragilisé dans l’opinion publique la décision du Conseil d’Etat français.

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