La Suisse doit réussir un double Erasmus

Il y a le grand frère européen, auquel on espère une réassociation de la Suisse au plus vite, et le petit frère helvétique, en gestation, dont on se demande pourquoi il n’est pas encore né. Soit à l’échelle nationale un système d’échanges et de mobilités systématique pour nos élèves, apprenti-e-s ou étudiant-e-s. Un programme qui capitaliserait sur notre plurilinguisme et deviendrait même un produit de référence made in Switzerland. 

L’accord entre Vaud et Zürich constitue-t-il un nouveau point de départ ?

Passé presque inaperçu dans le contexte pandémique et son halo médiatique, l’accord des cantons de Vaud et Zürich constitue un pas dans cette direction, avec la volonté d’intensifier de manière plus systématique les échanges entre institutions et personnes en formation à tous les degrés. Mais un pas qu’entre deux cantons. Il en reste 24 à connecter autour d’une déclaration du même type. C’est-à-dire comment passe-t-on d’un usage de circonstance à un usage généralisé des échanges à un niveau national ? Ou comment traduit-on concrètement dans le terrain la vision de la stratégie de la Confédération et des cantons (2017Movetia) que « tout jeune en Suisse effectue au moins une fois durant sa formation un projet d’échange ou de mobilité ».

A l’étranger ou en Suisse, l’enjeu n’est plus là aujourd’hui, on doit se convaincre de leur complémentarité. C’est vrai qu’on s’imagine plus facilement pouvoir motiver un jeune à séjourner dans un pays différent que dans une autre région linguistique de Suisse, où l’idée semble davantage minée par toute une série de préjugés et de fausses bonnes excuses pour s’en désintéresser. Ce serait une erreur. Car même au-delà des poncifs politiques de diversité culturelle et linguistique, une démarche plus systématique au niveau national aurait bien des vertus pédagogiques, sociales et économiques. Comme celles de son grand frère Erasmus.

Un Erasme helvétique

L’idée de promouvoir la compréhension linguistique sous la forme d’un “Erasme helvétique” se lit déjà dans un document de 2008 de la Société suisse des professeurs de l’enseignement secondaire (SSPES). L’objectif était d’encourager par un ensemble de mesures incitatives les étudiant-e-s à passer une partie ou la totalité de leurs études dans une autre région linguistique de sorte qu’à moyen terme cette mobilité devienne un usage généralisé. L’analyse part du constat que les expériences d’enseignement précoce des langues ou bilingue en cours à l’époque, même si elles sont prometteuses, se heurtent au manque d’enseignants maîtrisant couramment la langue cible. Même si le contexte est différent plus de 10 ans après, on semble toujours se heurter aux mêmes difficultés. Le défi de former de très nombreux maîtres est grand et on atteint vite des limites qui paraissent indépassables.

Dans ce contexte les échanges et les parcours d’immersion dans une autre région linguistique se profilent comme un complément et un substitut stratégique. Ce d’autant que les études et l’expérience vécue montrent qu’avec un niveau de connaissances linguistiques de base, la progression pour suivre les cours et séminaires est très rapide lorsqu’on est parachuté dans un contexte linguistique différent. Si l’immersion dans un autre cadre linguistique de travail ou d’étude semble aujourd’hui le vecteur le plus efficace de multilinguisme, il demande donc à être encouragé, organisé et surtout sysématisé.

Miser sur le degré secondaire II

Ce système d’échanges systématique trouverait un terrain fertile au secondaire II (gymnases, écoles de maturité spécialisée et formation professionnelle). Ce moment semble le plus favorable pour faire cette expérience, à un âge où les jeunes sont à la fois assez mûrs pour l’autonomie en dehors de leur famille et le plus libre d’attaches. L’immersion y serait très efficace et la progression pour suivre des cours ou faire un stage professionnel dans une autre langue locale très rapide. Le degré secondaire II représenterait donc une « fenêtre de mobilité » idéale, ce d’autant que des échanges y sont déjà pratiqués par de nombreux élèves ou apprenti-e-s. Et ancrer un échange systématique, obligatoire, même de courte durée, à cet étage aurait évidemment un impact positif sur les parcours de formation et la mobilité au degré tertiaire. En moins d’une génération on pourrait créer un « standard de qualité » qui rendrait tout naturel de passer une partie de sa formation dans une deuxième langue nationale.

Et la concurrence de l’anglais ?

Opposer les langues nationales à l’anglais relève d’une confusion sur les objectifs des unes et de l’autre. Tout jeune aujourd’hui est exposé et appelé à utiliser l’anglais d’une manière ou d’une autre au cours de sa formation. Jusqu’à présent, ils s’en accommodent plutôt bien, nécessité fait loi. Mais, si important soit-il, il ne faut pas confondre un anglais instrument de travail incontournable avec une langue de communication intercommunautaire qui se substituerait au multilinguisme helvétique. Celui-ci doit rester un fondement de notre pays, de notre diversité culturelle et de notre cohésion.

Par ailleurs la vertu d’un échange est bien plus large que sa seule dimension linguistique, l’expérience et les compétences acquises sont multiples. Faire un échange ou partir dans un autre contexte culturel a des bénéfices immenses pour la personne et sa carrière professionnelle. C’est aussi un gain considérable pour les écoles, le système éducatif dans son entier et bien évidemment le marché du travail.

Et on créerait un swissness

Les échanges c’est donc aussi un atout social et économique. Erasmus a certes une visée idéologique, mais il est devenu avec le temps un système d’échanges très performant à l’échelle européenne, voire mondiale, et pour tous les âges. Révolu le temps où le programme s’adressait qu’aux étudiant-e-s, aujourd’hui c’est un système « long life learning » qui vise tous les publics scolaires et s’impose en Europe comme un élément incontournable de quasi tout parcours de formation. Imaginez la Suisse en faire autant à l’intérieur du pays, à travers un programme systématique d’échanges ou de mobilités faire de son plurilinguisme un standard de qualité, une marque de fabrique, une vraie valeur économique, et pas seulement culturelle. Un vari produit made in Switzerland.

La Suisse doit réussir son double Erasmus. Par cohérence et complémentarité dans l’usage des langues, mais aussi parce que l’échange a une valeur éducative, sociale et économique forte. Un tel système serait aussi le vecteur d’une cohésion et d’un sentiment d’appartenance fort, à un pays, voire à un continent.

Olivier Tschopp

Olivier Tschopp est directeur de Movetia, l'agence nationale pour la promotion des échanges nationaux, ainsi que des coopérations et mobilités internationales. Tour à tour enseignant, directeur d'école, puis secrétaire général d'un département, il connait parfaitement le système éducatif et le contexte institutionnel suisse. Ses choix professionnels sont étroitement liés au change management et ses motivations le poussent à relier les frontières (inter)culturelles.

2 réponses à “La Suisse doit réussir un double Erasmus

  1. Bonjour,
    Votre point de vue est très intéressant.
    Si les échanges sont très fructueux au secondaire II pour les raisons que vous citez et la “flexibilité du cerveau” qui est encore grande a cet âge, je suis convaincu que la démarche est également fructueuse au niveau universitaires et HES, pour bénéficier des forces différentes de nos écoles (i.e. pas seulement pour la langue, la culture et le réseau social).

    1. Bonjour, merci de votre message, oui le niveau des hautes écoles est très important et on peut regretter le faible volume des échanges ou des mobilités nationales en regard de toutes celles et ceux qui partent à l’international, mais les priorités politiques penchent en ce moment plus sur l’école obligatoire et le secondaire II, mais cela viendra… 🙂

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