Le sablier

La montre connectée n’est pas l’avenir de l’horlogerie suisse

Pour rassurer d’entrée les plus sceptiques je n’adhère nullement à la ligne de défense de l’industrie horlogère qui consiste – à très peu d’exceptions près – à renier l’existence du marché des montres connectées ou smartwatches.

Je recommande aussi d’éviter l’amalgame entre la crise du quartz des années 1970 et le lancement des smartwatches. L’introduction du quartz représentait une rupture technologique, les smartwatches ne sont qu’une évolution – miniaturisation – de technologies existantes.

Par contre le point commun entre les deux est l’incapacité des acteurs d’une industrie à comprendre qu’un nouveau venu puisse venir bouleverser l’ordre établi. D’autres industries ne sont pas plus visionnaires que les horlogers suisses à commencer par les industriels de l’automobile qui n’ont pas vu venir Tesla et sa technologie électrique. Ou encore Sony qui n’avait pas compris que le Walkman devait passer à l’ère numérique ce qu’Apple a fait avec le succès que l’on connaît.

Le point commun entre TESLA et APPLE ? Un modèle d’affaires qui va au-delà du produit et qui englobe le produit, sa distribution et les produits connexes. Le client devient captif, car une fois qu’il a adhéré au mode de fonctionnement de la marque il pourra ou voudra difficilement sortir de l’univers de la marque.

 Le point commun entre les constructeurs automobiles et les horlogers suisses ? Ils ne comprennent pas que la nouvelle génération de consommateurs – ceux de la génération Y les « millennials » – adhèrent au discours d’une marque que s’ils la jugent crédible. Et ce sont eux les clients du futur pour les fabricants d’automobiles et de montres de luxe. Car même une montre à 300 dollars (la nouvelle Apple Watch 3 se vend à 329 dollars) est un objet de luxe pour ce segment de clientèle.

La question n’est plus de savoir s’il existe un marché pour les montres connectées : il s’en est vendu plus de 34 millions en 2016 et le leader du marché – Apple – détient une part de marché de 33%. Ce chiffre est à comparer avec les 25 millions de montres vendues par l’ensemble de l’horlogerie Suisse en 2016 (- 10% vs. 2015) !

La question est de savoir pourquoi aucune marque horlogère Suisse dans l’entrée de gamme, c’est à dire dans la gamme de prix des Apple Watch, ne s’est lancée dans la contre-offensive ! Je le répète : aucune technologie utilisée dans les smartwatches n’est inconnue des horlogers suisses et aucune d’entre elle n’est disruptive. Swatch Group pour donner un exemple, maîtrise (R&D et fabrication) l’ensemble des technologies nécessaires à la conception d’une montre connectée. D’ailleurs Swatch Group fournit p.ex. Garmin ou Suunto avec toutes les technologies nécessaires au fonctionnement de leurs montres (glaces tactiles, accéléromètres, etc.).

Les rares exceptions à cet état de fait sont représentées par des initiatives de Breitling, TAG Heuer, Frédéric Constant ou encore Montblanc, mais toujours dans une gamme de prix largement inaccessible pour les clients potentiels. Ces clients potentiels n’achetant pas une montre, mais un objet connecté qui – accessoirement – indique l’heure.

 

Reste à comprendre pourquoi aucun horloger Suisse – du moins dans l’entrée de gamme – n’essaie de contrer les américains Apple et Motorola ou encore les coréens de Samsung, alors même que nous maîtrisons la technologie et que nous sommes toujours largement les leaders du marché (uniquement en valeur !) ?

La réponse est relativement simple et tient dans le paradigme du leader qui se sent inattaquable sur son domaine d’excellence. Alors que M. Nicolas Hayek dans un interview publiée en 1993 (Harvard Business Review, Bill Taylor) expliquait qu’il ne fallait jamais céder du terrain face à l’ennemi (à l’époque les Japonais) on sent aujourd’hui un abandon (quasi) total de ce segment de marché par les horlogers helvétiques. Si certains sont encore sceptiques sur l’impact des montres connectées sur les chiffres de ventes des marques horlogères d’entrée de gamme, je les invite à consulter les statistiques de la fédération horlogère Suisse (fhs/ Statistiques d’exportations horlogères 2000-2016 par FHS). On peut constater une baisse de 28% des volumes de ventes et de 10% de la valeur (sur une période courant de 2000 à 2016) des montres exportées pour un prix d’exportation inférieur à CHF 200 (approx. CHF 500 prix public), soit le niveau de prix des Apple Watch !

La montre connectée n’est pas l’avenir de l’horlogerie Suisse…. mais elle pourrait bien représenter le début de la fin !

Si les horlogers suisses ne font aucun effort de reprendre l’initiative, nous assisterons à une baisse encore plus importante des volumes de ventes qui sera synonyme de désindustrialisation. Quelques rares marques de volume survivront très probablement comme Omega, Rolex, Cartier ou encore Longines, parce qu’elles représentent – dans leur segment de marché – un objet statutaire plus qu’une montre. De même que quelques marques de niche ou artisanales ont certainement un avenir.

Par contre je suis plus que dubitatif sur l’avenir de l’entrée de gamme du marché horloger helvétique qui devrait enfin se réveiller pour comprendre que les smartwatches sont un objet connecté permettant de gérer du contenu et des données qui sont aujourd’hui l’enjeu de la guerre commerciale qui est en passe d’être gagnée par quelques acteurs, dont par exemple Facebook, Google, Amazon ou encore Apple. Et une smartwatch au poignet occupe la place d’une montre traditionnelle.

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