Faits éducatifs

Entre adultes vaccinés

Les principaux espoirs communément partagés en ce début d’année … Un retour à la vie normale, donc sociale, ouverte, active, mouvante, saccadée, vibrante … La possibilité de se faire mutuellement toute confiance, de se toucher, de s’approcher, de croiser un-e inconnu-e sans appréhension, de travailler ou d’étudier en commun sans écrans interposés en permanence … Le retour au collectif, au petit magasin de quartier, au bistrot, au théâtre, au concert, au festival, au cinéma, à la bibliothèque … et le retour au travail ou en formation, dans l’openspace, la classe, l’amphithéâtre, la cafét, le préau, les coulisses … L’ouverture des lieux publics et de convivialité … Le passage des frontières, à tous les sens du terme et dans toutes les directions …

S’y ajoutent des considérations plus civiques et politiques, suite aux récents événements qui ont accaparé l’attention des médias du monde entier, mais suite également à d’autres sources d’inquiétudes plus largement et dangereusement répandues, touchant au complotisme, à la défiance et à la désinformation dont l’internet se fait le porte-voix condescendant.

Que de nouveaux vaccins conduisent à se poser des questions est naturel et sain ; qu’on puisse, souvent sans aucune culture ni lecture scientifiques préalables, raconter les pires sornettes à leur égard tient d’une ignorance et d’une stupidité communicatives. A chacun-e de décider librement s’il ou elle accepte la double piqûre anti-covid … mais faut-il pour autant se répandre dans des argumentations de plus ou moins bas étage pour convaincre tous ses correspondants électroniques de ses propres doutes et raisons. Le libre-arbitre n’exige pas le prosélytisme. D’autant qu’un vaccin ne se fait pas que pour se protéger soi-même, mais se décide dans le cadre d’une responsabilité familiale et sociale … pour que les espoirs exprimés en introduction aient une chance de se réaliser d’ici l’été.

On ne le constate que trop, certains pays se mettant à ce sujet en particulière évidence : le débat démocratique a également besoin de vaccins efficaces. Car il faut pouvoir se parler et s’écouter, chercher aussi bien à se comprendre qu’à se convaincre mutuellement, avec des arguments concrets et solides, se complétant et s’enrichissant de leurs échanges et débats entre individus et entre groupes d’intérêt ou de pression. Il ne s’agit donc pas seulement de s’invectiver, de reproduire à n’en plus finir les slogans imposés par d’autres, de faire basculer des statues ou d’envahir des lieux symboliques ou sacrés. La démocratie s’étiole quand le fanatisme dissout l’objectivité, quand la propagande remplace l’instruction, quand les intérêts autocratiques et/ou narcissiques tiennent lieu de programme politique imposé aux masses désemparées et/ou désinformées.

 

On peut donc rêver en ce début d’année d’un monde meilleur rempli d’adultes vaccinés, pas forcément à coups de seringues, mais de réflexions et de responsabilités assumées et diversifiées. Cet espoir peut-être un peu fou se rattache à la “chose publique”, au vivre-ensemble (que nous évoquions précédemment sur ce blog à la suite de l’assassinat d’un professeur français ou des excès de la cancel culture). Aux premiers jours de 2021, David Sylvan, professeur américain de l’IHEID de Genève, analysait avec pertinence dans Le Temps les dérives du débat dans la res publica. Il déplorait l’augmentation de la captation du débat public par les effets de silence ou de silo. Le silence relève d’une pratique gouvernementale déjà ancienne, consistant à éviter de soumettre à la discussion certaines questions délicates ou régaliennes, et à décider sans débat et sans explications. Le silo est un risque bien plus récent et sournois, dont les USA font une démonstration tonitruante : de plus en plus d’individus captent et interprètent le monde, les événements et leur environnement au travers de sources – groupes d’appartenance, médias, réseaux sociaux – présélectionnées et réduites, excluant toute pluralité et controverse quant à leur opinion initiale. Il devient dès lors impossible d’entrer dans un débat, seuls l’opposition et le combat, sinon le dédain ou la haine, s’installent entre les silos de pensée. La démocratie va rapidement accéder aux soins intensifs, faute d’un vaccin sauvegardant le débat d’opinion et le respect de l’autre.

Un tel vaccin ne va pas sortir des laboratoires : c’est un fait éducatif, une responsabilité vitale de l’éducation.

Bonne année et bon courage à tous les enseignant-e-s et formateurs-trices, qui constituent également un personnel soignant vital pour la société.

 

 

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