Faits éducatifs

Le droit de vote à 16 ans et l’éducation aux médias et au débat sont appelés à s’entraider.

L’année 2019 aura sonné le réveil civique tonitruant d’une expression juvénile s’engageant sur la place publique. La sauvegarde climatique et l’égalité entre les sexes ont trouvé un nouveau porte-voix, vigoureux et inventif, généralement bien documenté et fortement revendicateur. Il faut se réjouir de ce sursaut civique et peu politisé, lequel soulève – indépendamment des sujets traités – au moins deux questions capitales quant à l’évolution de notre société : cette voix vigoureuse ne peut-elle disposer que de la rue et des réseaux sociaux pour s’exprimer quant aux perspectives de son avenir ? l’école et les médias classiques peuvent-ils encore participer à une éducation civique précoce à l’heure des réseaux numériques ? Alors que les médias d’information paniquent face à la chute drastique de leur auditoire jeune, nous voici confrontés à un “fait éducatif” contemporain : donner et outiller le droit de vote dès seize ans.

 

Seul Glaris l’a adopté jusqu’ici, et qui plus est en Landsgemeinde voici deux ans. Vaud, Genève, Valais, le Jura et Zurich en traitent à nouveau, alors qu’une initiative fédérale est dans l’air après l’échec voici dix-huit mois d’une initiative parlementaire de la verte genevoise Liza Mazzone. Le droit de vote sera accordé tôt ou tard aux jeunes dès 16 ans, sans doute après qu’un certain nombre de communes et cantons l’aient déjà mis en pratique. L’initiative constitutionnelle populaire sur laquelle se prononcera le 9 février le corps électoral neuchâtelois a su se montrer prudente, se réservant ainsi quelques chances de succès : pour exercer son droit, le ou la jeune intéressé/e devra expressément s’inscrire au registre électoral de sa commune de domicile et il/elle ne sera pas éligible avant 18 ans révolus. Une courte majorité du Parlement et le Gouvernement neuchâtelois soutiennent la proposition. Pourtant la droite libérale et la droite dure s’y opposent, alors que le POP et le PDC s’abstiennent frileusement de toute recommandation de vote. A-t-on peur d’un rajeunissement des opinions ou d’une croissance quasi exclusive de l’électorat rose-vert ? Le politologue Claude Longchamp pointe l’âge médian de l’électorat helvétique, qui déborde désormais les 57 ans ; voilà qui fait réfléchir et qui justifie, après de nombreux reculs parlementaires sur des questions vives de société, le ras-le-bol adolescent et les bruyants cortèges des derniers mois.

Booster dès l’école l’accès aux sources d’in”formation”

Laissons de côté l’argumentaire faiblard d’un manque de cohérence entre les majorités civile, civique et pénale, qui s’ajoute à des propos qui nous rappellent ceux s’opposant jadis au vote des femmes. Que les voix variées qui déplorent, après chaque taux maigrichon de participation aux grandes votations, le manque d’éducation civique de nos chères têtes blondes et le désintérêt croissant pour les débats de société et pour l’information qui les alimente, se montrent enfin cohérentes et proactives. A l’école revient très officiellement la tâche de la formation générale à la citoyenneté (pour preuve l’alinéa 1.1, lit. g de La déclaration 2003 de la CIIP sur les finalités et objectifs de l’école publique). Elle s’y emploie, mais ce n’est jamais gagné d’avance. Les récents moyens d’enseignement en sciences humaines et sociales (histoire/géographie/citoyenneté) poussent le bouchon bien plus loin en ce sens que leurs prédécesseurs, surtout lorsque ces derniers étaient importés de pays voisins. Mais, plus largement, enseignants et établissements sont invités par le Plan d’études romand à mettre en pratique dans la vie scolaire les formes du débat démocratique, la représentation élective, le droit de proposition … sans en prendre peur. Une foule d’exemples pertinents peut l’illustrer (La jeunesse débat). Ce n’est toutefois pas au système scolaire de faire du prosélytisme politique, d’influencer les opinions ou d’encourager les grèves pour le climat ou les actes de rébellion.

Comment dès lors ne pas tourner à vide en pratiquant l’exercice démocratique pour sa seule forme et sur des contenus d’emprunt ? En incluant fortement et dès la fin du degré primaire l’éducation au débat et l’usage des médias fondés sur l’analyse des faits et arguments proposés sur la place publique. Il ne s’agit pas là d’une simple récup opportuniste : l’interdisciplinarité et les liens avec la vraie vie sont encouragés à l’école depuis un siècle et demi. Les stratégies officiellement adoptées en faveur de l’éducation numérique souhaitent renforcer l’éducation aux médias, alors profitons-en.

Raviver la nécessité de la presse d’information et d’opinion

Après avoir compris que le business model de Metro, le journal gratuit suédois à l’origine de tous les produits similaires, n’allait pas sauver la presse quotidienne, les rédactions en chef s’inquiètent du manque croissant d’intérêt des jeunes générations pour leurs pages imprimées et numériques, et par conséquent de la relève de leur lectorat, lui aussi vieillissant. La dernière étude JAMES produite par l’Institut de psychologie des médias de la zhaw (Jeunes | Activités | Médias – Enquête suisse, Rapport JAMES 2018) montre, au fil des six dernières années, que les jeunes lisent de moins en moins souvent les quotidiens, même en ligne, tout comme ils regardent beaucoup moins la télévision, alors que, en deux ans, leur nombre d’abonnés aux services de streaming (musique ou films/séries) a plus que doublé. On voit toutefois que l’usage de portails de journaux et magazines est deux fois plus important chez les 18-19 ans que chez les 16-17, restant nettement inférieur chez les Romands en comparaison des autres régions linguistiques.

Les médias romands, tous formats confondus, préparent actuellement leur deuxième forum, après avoir lancé, fort inquiets, cette forme d’états généraux voici une année. En plenum, les rédacteurs en chef ont notamment constitué un groupe de travail dévolu à l’éducation aux médias, prêt à collaborer avec les DIP. A l’automne 2019, plusieurs quotidiens (dont Le Temps) ont lancé des offres d’abonnements numériques à bas prix pour les jeunes. Ils ont collaboré à des ateliers en milieu scolaire, notamment dans le cadre de la Semaine des médias à l’école , et poussé sur l’événementiel jeunes publics. Mais, comme l’écrivait en Une le rédacteur en chef de La Liberté le 2 octobre dernier : “Reste qu’une offre commerciale novatrice ne suffira pas à assurer la relève. Nous devons en parallèle continuer à nous développer sur le numérique et aborder les sujets qui touchent les jeunes. Sans oublier tous ceux qui, aujourd’hui, nous font vivre.” Il est rejoint par le vice-président de la Commission fédérale des médias qui, préconisant une aide directe au journalisme, mentionnait dans Le Temps de la semaine dernière qu’une offre d’abonnements digitaux à bas prix pour les jeunes ne reste qu’une des pistes à explorer : “Personnellement, je pense qu’il faut faire attention à ne pas se tromper de combat. Les médias doivent faire la preuve de leur valeur et expliquer que l’information a un coût. Aujourd’hui, les jeunes et les moins jeunes investissent des sommes extravagantes dans l’accès aux contenus et via leur abonnement télécom, mais ils ne sont pas prêts à payer le contenu. C’est un paradoxe qu’il faut essayer de corriger.” Mais que faire ?

Il est certain que les DIP n’ont pas à militer pour les abonnements privés, mais pour l’éducation aux médias et à la citoyenneté en général. C’est dans ce contexte qu’il faut applaudir au Plan d’actions médias annoncé à la mi-janvier par le Conseil d’Etat vaudois, suite à un postulat, dont le crédit correspondant, à hauteur de 6,2 millions, sera prochainement soumis au Grand Conseil. L’une des actions phare vise directement la jeunesse : “Le Conseil d’Etat considère qu’il est nécessaire de sensibiliser les quelque 8 à 9 mille jeunes qui atteignent chaque année l’âge de 18 ans dans le canton en les incitant à entrer dans une logique d’information payante, qui traite des enjeux de la vie publique et citoyenne. Pour ce faire, la création d’une plate-forme d’abonnement pour la presse vaudoise est proposée (un kiosque virtuel vaudois). Le but est d’agréger les offres payantes existantes des différents médias couvrant l’actualité vaudoise et d’offrir à ces jeunes la possibilité d’y accéder pour une année et à un tarif hautement préférentiel. Par le biais de cette plate-forme, les éditeurs se verront également offrir l’opportunité de se présenter et de fidéliser leurs offres auprès d’un public renouvelé.” Et d’annoncer une expérience pilote dans une vingtaine d’établissements de l’enseignement obligatoire et postobligatoire avec la constitution et l’usage de packs média. Chapeau bas les Vaudois ! Il faudra toutefois veiller à ne pas soigner que les filières études et à stimuler la réactivité et l’engagement des enseignantes et enseignants. Les trente années d’expérience du Centre pour l’éducation aux médias et à l’information rattaché au Ministère français de l’éducation nationale pourraient être utilement mises à profit. Les solutions ne manquent pas et elles interpellent positivement autant les conférences intercantonales que le forum des médias romands. Ce d’autant si le droit de vote devenait progressivement plus précoce …

Choyer la démocratie directe et la pluralité des médias, un atout helvétique cumulé

L’actualité nous immerge dans les Primaires à la présidence américaine. Force est d’y déplorer depuis de nombreuses années un mal insidieux qui ronge la démocratie d’outre-Atlantique : l’évangélisation partisane et outrancière pratiquée par certains grands médias et la polarisation rédhibitoire de la société qui peut en résulter selon la consommation exclusive qui peut en être faire par les citoyens. La journaliste Béatrice Barton en constatait les dangers dans une opinion publiée voici tout juste deux ans dans Le Temps.

La Suisse n’en est pas là, certes, mais des médias qui nous étaient proches ont disparu au fil des ans, la consommation de l’information par les jeunes (et sans doute pas qu’eux !?) se réduit au profit d’autres loisirs, et le monde comme l’avenir ne sont pas des plus radieux par les temps qui courent. Notre pays a le privilège d’une offre médiatique pluraliste et de proximité, d’une formation de qualité et d’un corps enseignant engagé, de la culture de l’écoute, du souci (en principe) constant de la démocratie, du respect de la pluralité et des minorités. Elle a l’occasion de rebondir de manière constructive et formative en secouant énergiquement tout ces atouts dans un shaker et de faire déguster à nos jeunes et futurs citoyennes et citoyens de colorés cocktails d’opinions au moment de former leur libre-arbitre et de traiter, en tous lieux et au fil de nos fréquentes votations, des sujets qui nous concernent, et surtout de ceux qui ont su mobiliser notre jeunesse. Ne pas la mettre à profit serait coupable, les jeunes voix sur les places publiques n’auraient par la suite pas tort de nous le reprocher … ou de définitivement s’en détourner.

 

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