Le thème du sol et de la vie qu’il abrite concerne l’ensemble de l’humanité, dans toute sa diversité philosophique, culturelle, économique, esthétique ou scientifique. Ivan Illich, 1991
Dans une Europe fortement urbanisée et bétonnée, le sol peut passer aux oubliettes. C’est à éviter absolument, car ils sont vitaux et extraordinaires. D’abord, il n’y a pas qu’un sol, mais des sols, qui peuvent prendre des teintes variables, être profonds ou pas, être caillouteux ou très fins. Ils renferment une richesse vivante impressionnante, jusqu’à 10’000 espèces par mètre carré. Cette vie participe entre autres à maintenir la fertilité des sols. Oui, car les sols nous nourrissent. Les Incas avaient raison de lui attribuer une divinité, la Pachamama, la Terre-mère. Allons voir!
Qu’est-ce qu’un sol?
Posez-vous la question sur la définition que vous lui donneriez. En effet, elle dépend de l’usage que nous en faisons. Le sol ne sera pas perçu de la même manière par un agriculteur qui laboure son champ, ou par un agent immobilier qui vend du terrain, ou encore par un archéologue qui y cherche des bribes d’histoire. Mais alors, que disent les scientifiques du sol? Car il y en a. Ils s’appellent des pédologues et ils pratiquent la pédologie; la science des sols.
Le sol du pédologue est un système complexe. Pour l’étudier, il doit utiliser une approche systémique, c’est-à-dire, regarder les relations qui existent entre les différents éléments qui le composent. Aussi, il devra appréhender le sol comme un tout et donc avoir une approche holistique (1). Le sol apparaît alors comme une entité ayant des caractéristiques émergentes (2), c’est-à-dire qu’il est un matériau aux propriétés nouvelles (3, 4).
Le sol est la couche la plus superficielle de la Terre (5). Il est à l’interface ou à la limite de différents ensembles, que sont l’air (l’atmosphère), l’eau (l’hydrosphère), les roches (la lithosphère) et le vivant (la biosphère, en incluant l’humain). La rencontre entre ces ensembles va engendrer une multitude d’interactions de natures diverses, biochimiques, physico-chimiques, chimiques… Ces interactions vont permettre des échanges d’énergie et de matière entre ces ensembles (6).
Faisons une parenthèse avec l’exemple de la respiration: elle est un processus d’interactions multiples. En ce moment, vous et moi, sommes en train d’échanger de la matière à l’état gazeux, ici de l’oxygène (inspiration) et du dioxyde de carbone (expiration), avec l’atmosphère qui nous entoure. Cet échange de matière va permettre aux cellules de notre corps de dégrader les glucides que nous avons consommés pour nous fournir en énergie (7). Ainsi, la respiration résulte de l’interaction entre la biosphère et l’atmosphère, mais aussi d’interactions au sein-même de la biosphère, car les glucides consommés proviennent d’autres vivants, végétaux et/ou animaux (nourriture).
De toutes ces interactions, les sols vont naître, se développer, s’éroder, disparaître, à nouveau naître, etc. Les pédologues utilisent le terme de pédogenèse (genèse des sols) lorsqu’ils étudient l’évolution des sols dans le temps. En effet, il en faut du temps, suivant les conditions, cela peut prendre jusqu’à 500 ans pour former seulement 2 cm d’épaisseur de sol (4)! Quand un sol se développe, des couches, les horizons du sol, vont se différencier. Les horizons se succèdent généralement de la manière suivante en profondeur (8):
- La litière: première couche de matière organique plus ou moins décomposées. Est dite « matière organique » tous composés provenant de résidus végétaux ou animaux (feuilles mortes, brindilles, restes d’insectes, …).
- L’humus: matière organique fine qui résulte de la décomposition partielle de la litière par les organismes du sol (champignons, bactéries, insectes, lombrics, …).
- L’horizon organo-minéral: mélange d’humus et de matière minérale. Est dite « matière minérale » tout ce qui n’est pas organique, autrement dit, tout ce qui constitue les roches et/ou ce qui provient de l’altération d’une roche. L’altération peut être physique – par la fragmentation de la roche en pierres, cailloux, graviers, sables, limons, argiles – et/ou chimique – par la dissolution de la roche par l’eau. Les éléments peuvent alors se recombiner en nouveaux minéraux que l’on nomme les argiles minérales. Dans un sol, il peut y avoir plusieurs horizons organo-minéraux qui se différencient.
- Le matériel minéral parental altéré: il peut être une roche ou un sédiment. Un sédiment est un matériel minéral provenant de roches préalablement altérées, qui a été transporté, puis déposé. Une moraine ou un sable au bord d’une rivière sont deux exemples de sédiments déposés par la glace et l’eau, respectivement. La notion de « parental » indique que le matériau contribuera à la formation du sol.
- Le matériel minéral parental non-altéré: roche ou sédiment.
Cette succession d’horizons, leur configuration et leurs caractéristiques varieront selon le contexte climatique (précipitations, températures), topographique (position au fond d’une vallée ou sur une crête), lithologique (type de roche ou de sédiment), biologique (forêt, prairie ou champ cultivé, …), temporel (âge du sol). Sans vouloir entrer dans les détails, la variation, même faible, de l’un ou l’autre ou plusieurs de ces paramètres, va engendrer la genèse d’un sol différent. Ainsi, la diversité des sols est immense (9)!
Ces profils de sols ont été étudié dans la région de Ballens dans le Jura vaudois. Appréciez simplement leur diversité, notez les couleurs et quelques limites, voyez la présence de racines, de blocs, de cailloux, regardez la litière… Observez c’est tout 🙂
Un sol sain et fertile est un sol vivant
La propriété qu’ont les sols d’être de la matière organique liée à de la matière minérale est extraordinaire. Ce mélange, pouvant prendre des teintes variées et être différent d’un endroit à un autre, va être le siège de la fertilité. Et cette fertilité est maintenue par la vie! En effet, les sols sont de véritables écosystèmes. Ils sont vivants et abritent une biodiversité incroyable. La richesse des habitats qu’ils peuvent offrir est telle, que plus de 10’000 espèces peuvent se retrouver dans seulement 1 mètre carré de sol (4). Ce sont des espèces appartenant aux plantes (herbacées, ligneux, …), à la macrofaune (fourmis, lombrics…), à la mésofaune (collemboles, mites…), à la microfaune (nématodes, protistes, …) et à la microflore (bactéries, champignons, algues, lichens, …). La présence et la diversité des différentes espèces dans un sol va bien sûr dépendre du contexte, mais leur rôle reste primordial. Ils participent à la formation de l’humus, au mélange organo-minéral et à sa stabilisation, au cycle et au stockage des nutriments, à l’aération du sol, à la bonne infiltration de l’eau à travers le sol, etc. Un sol sain et fertile est un sol vivant. Et c’est ce sol qui peut fournir de la nourriture saine durablement (8, 10).
Conscience du sol
En Suisse, 74% de la population est urbaine (11). Dans les centres urbains, un horizon inerte et imperméable sépare la population du sol; le béton. C’est la raison pour laquelle, il semble important de parler du sol dans un tel contexte. Pour ne pas l’oublier. En Suisse, l’urbanisation a augmenté de 23.4% entre 1989 et 2009 et ceci a contribué à 63.5% de la perte des terres arables (12). Cependant, si l’urbanisation imperméabilise et surtout fragmente le paysage, l’agriculture de type intensive engendre aussi des problèmes. En Suisse, l’Observatoire National des Sols (NABO) suit ces problèmes de près, ils sont liés: (i) à l’érosion qui touche 40% des terres assolées – qui sont soumises à la rotation culturale – du territoire helvétique, (ii) à la compaction du sol, qui n’est pas évaluable à l’heure actuelle, (iii) à la pollution aux métaux lourds, comme le cadmium, le nickel, le cuivre, le plomb, (iv) à la présence croissante d’organismes exotiques, … (13). Des mesures de protection des sols sont mises en place par la Confédération (13). La conscience qu’il est primordial de prendre en compte le sol dans l’aménagement du territoire et dans la production agricole, est présente, car des sols malades ne sont pas capables d’assurer la sécurité alimentaire de nos sociétés.
Références
1: Ortholang, dictionnaire en ligne, https://www.cnrtl.fr
2: Narbonnes, Y., 2005. Systémique et complexité. Hermès, Paris.
3: Gobat et al., 2010. Le sol vivant. Bases de pédologie – Biologie des sols. Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne.
4: Orgiazzi, A., et al., 2016. Global Soil Biodiversity Atlas. European Commission, Publications Office of the European Union, Luxembourg.
5: Girard et al., 2005. Sols et environnement. Dunod, Paris.
6: Société suisse de pédologie, www.soil.ch
7: N. Campbell, 1995. Biologie. De Boeck, Paris.
8: Schaetzl, R. J. and Thompson, M. L., 2015. Soils. Genesis and Geomorphology. Cambridge University Press.
9: Jenny, H., 1941. Factors of Soil Formation. McGraw-Hill, New York.
10: Russell, D., 2019. Les sols un trésor vivant sous nos pieds. Agence européenne pour l’environnement, Luxembourg.
11: DataBank, online, https://donnees.banquemondiale.org
12: Steiger, U., Knüsel, P., Rey, L., 2018. Utiliser la ressource sol de manière durable. Synthèse générale du Programme national de recherche “Utilisation durable de la ressource sol” (pnr 68); Ed. : Comité de direction du pnr 68, Berne.