L’accent russe

Ni drame, ni farce

Il faut vraiment être fan d’opéra pour aller se balader à Zurich par un beau dimanche et assister, masqué, à un « Boris Godounov » pendant quatre heures.

Mais, moi, justement, j’aime l’opéra, et celui-ci je le connais par cœur, l’ayant vu plein de fois, dont la première fois au Théâtre Bolshoï à Moscou. Je devais avoir 7-8 ans et je m’en souviens comme si c’était hier.

Il est évident que le spectacle zurichois ne restera pas gravé dans ma mémoire. Le débat sur la transposition ou non des opéras est un débat éternel chez les mélomanes. Quant à moi, je suis partagée.. Je trouve que certains opéras – comme « La Traviata », par exemple, s’y prêtent mieux que d’autres : l’amour, la fidélité, la trahison sont des sujets intemporels et on peut très bien placer l’action au 19ème siècle comme au 21ème.

Mais « Boris Godounov », dont une demi-douzaine de versions existe, notamment deux signées par Modeste Moussorgski lui-même, est un opéra historique, impliquant des personnages qui ont réellement existé et dont les actions (ou inactions) ont impacté l’histoire de la Russie, un pays en tout temps non-négligeable sur la carte du monde.

Que le metteur-en-scène australien Barrie Kosky ait choisi la version de 1872 qui inclut la scène de la révolte populaire, soit. Qu’il place l’action dans une espèce d’archive d’État, soit aussi: l’histoire est bien préservée. Qu’il ait réduit tout le glamour des décors traditionnels (rappelons que la plupart de l’action se passe tout de même au Kremlin) à deux couleurs : gris pour la Russie et doré pour la Pologne, ok. Qu’il ait vêtu les personnages d’habits modernes, soit. Qu’un clerc de la Douma du 16ème siècle apparaisse en costard-cravate – soit aussi : l’orthodoxie est à la mode dans la Douma russe d’aujourd’hui, et on peut tout à fait imaginer un clerc s’adresser à l’assemblée « Chers camarades orthodoxes ». La confusion dans les têtes est grande.

Nous sommes davantage gênés par Pimen : ce moine âgé et solide écrivant sa chronique dans une cellule éclairée à la bougie dans les versions « classiques », nous est présenté ici très agité, pas du tout distingué, tapant fébrilement sur le clavier de son notebook. Il continue à le faire tout en chantant « Ma bougie s’éteint… »

On peut même accepter que Marina Mnishek, la belle polonaise qui rêve d’un trône moscovite, soit réduite à une vulgaire fausse blonde, dont les intentions sont – comme on dit en russe – écrites sur son front. La vraie déception c’est Boris (interprété par un baryton allemand Michael Volle). Transpirant dans son costume mal repassé il n’a rien d’un autocrate, il ne fera trembler personne. Il tremble lui-même comme un vulgaire bureaucrate/voyou pris en flagrant délit.

L’absence d’un personnage dramatique rend le drame impossible. D’autant plus que le chœur (sensé représenter le peuple) se trouve – à cause des mesures sanitaires – dans la salle des répétitions à 1 km du théâtre, et est « remplacé » par un personnage imaginé par M. Kosky, qu’on ne trouve ni dans le texte d’Alexandre Pouchkine, ni dans le libretto de Moussorgski: un jeune homme en jeans et baskets, un peu à la Jésus-Christ – mal rasé aux cheveux longs. Leur opposition n’est pas convaincante. Celui dans le public, qui ne connaît ni cet épisode historique, ni le drame de Pouchkine ne peut strictement rien comprendre. Surtout que le moment crucial – la scène entre Boris et le fol en Dieu, lors de laquelle ce dernier accuse le tsar d’un meurtre – est simplement omise. Quel dommage, quel gâchis !

J’ignore ce que voulait dire le metteur-en-scène par cette lecture d’une œuvre classique russe, bien que je sois sûre qu’il voulait dire plein de choses. De nature curieuse, je n’avais pourtant même pas envie d’y réfléchir tant j’étais restée insensible tout au long de la représentation. Mauvais bilan pour un spectacle, quoi qu’en dise.

L’analyse plus détaillé se trouve ici, en russe cette fois.

Quitter la version mobile