Inde: Arts & Lettres

Kadambari Devi: La muse du jeune Rabindranath Tagore, Prix Nobel de littérature 1913

Rabindranath Tagore (1861-1941) est une grande figure de l’histoire intellectuelle et littéraire de l’Inde moderne. Il reçoit le Prix Nobel de littérature en 1913, premier Prix Nobel extra-européen. Son œuvre, écrite en bengali, est vaste et influente ; elle ne concerne pas uniquement l’écriture, mais aussi la musique et la peinture.

Rabindranath Tagore à Calcutta, probablement en 1909 ; domaine public: https://fr.wikipedia.org/wiki/Rabindranath_Tagore#/media/Fichier:Rabindranath_Tagore_in_1909.jpg

Les images les plus connues de lui sont celles d’un homme d’âge mûr, à la longue barbe blanche et à l’allure quelque peu austère. Accompagnées de la grande renommée de l’écrivain et de sa famille, ainsi que de l’aura de son œuvre immense, il est difficile de se faire une idée de lui dans sa jeunesse, avant qu’il ait été le grand Tagore! Difficile aussi de l’imaginer dans le cadre de son intimité et de sa vie de famille.

Bien que, ses écrits de jeunesse nous mettent sur la voie:

Je serre ses mains ; je la presse contre ma poitrine.
J’essaie d’emplir mes bras de sa beauté, de piller avec mes baisers son sourire, de boire avec mes yeux ses regards.
Hélas! mais où est tout cela? Qui peut forcer l’azur du ciel?
J’essaie d’étreindre la beauté : elle m’élude, ne laissant que le corps entre mes mains.
Confus et lassé, je retombe.
Comment pourrait le corps toucher la fleur que seule l’âme peut toucher?[1]

Ce poème cité par André Gide dans son introduction à L’Offrande lyrique (Gitanjali), qu’il a traduit de l’anglais au français, est issu d’un recueil de poèmes, publié sous le titre de The Gardener en 1914. Rabindranath Tagore y traduit ses propres compositions et déclare dans la préface de l’ouvrage que ce sont des poèmes sur l’amour et la vie, qui ont été écrits bien avant les poèmes religieux contenus dans Gitanjali.[2] L’ouvrage contient d’ailleurs un portrait de l’auteur à l’âge de 16 ans :

“Rabindra Nath Tagore, Age 16, by Gaganendra Nath Tagore, after a drawing by Jyotirindra Nath Tagore” ; tiré de The Gardener, 1914.

Mais c’est au travers du cinéma et du portrait d’une jeune femme qui a partagé les jeunes années de la vie de Rabindranath Tagore, qu’il est possible de se rapprocher de ce jeune homme de seize ans. Le film Kadambari (2015) du réalisateur Suman Ghosh, qui sera projeté dans le cadre du festival de films CinéMasala le 22 novembre prochain, nous invite à pénétrer dans l’intimité de l’écrivain et de sa relation avec sa première muse.

 

“Jyotirindranath Tagore sitting with Jnanadanandini Devi, Satyendranath Tagore, Kadambari Devi” ; domaine public : https://en.wikipedia.org/wiki/Jyotirindranath_Tagore#/media/File:Jyotirindranath_Tagore_sitting_with_Jnanadanandini_Devi,_Satyendranath_Tagore,_Kadambari_Devi.jpg

Kadambari Devi (1858-1884) était l’épouse du frère aîné de Rabindranath, Jyotirindranath Tagore (1849-1925), fin esthète et dramaturge. Elle l’épouse alors qu’elle n’a que dix ans et intègre ainsi la demeure de la célèbre famille à Calcutta. Ayant presque le même âge que Rabi (prononcé Robi, surnom de Tagore), elle devient sa compagne de jeu.

Le film de Suman Ghosh dépeint la relation qui va naître entre les deux jeunes gens, depuis leur rencontre jusqu’au suicide de Kadambari, scène d’ouverture du film. Celui-ci intervient quatre mois après le mariage de Rabi avec Mrinalini Devi (1874-1902). Le film suggère une relation étroite entre les deux jeunes gens, faite d’un amour sincère et d’échanges intellectuels et littéraires intenses. Il donne à Kadambari Devi, Bhoutan (belle-soeur), comme l’appelle Rabi, une place très importante dans la construction du jeune homme en tant que poète, lui commentant ses écrits et devenant sa muse. Dans la réalité, on ne connaît que peu de choses sur cette romance, soulignée dans le cadre du film. Les raisons du suicide de Kadambari sont également restées mystérieuses. Mais le film fait la part belle aux textes et chansons de Tagore, qu’il utilise comme un dialogue entre Bhoutan et Rabi.

 

Page de couverture de Bangadarshan ; domaine public : https://en.wikipedia.org/wiki/Bangadarshan#/media/File:Bangadarshan.png

D’un esthétisme délicat et d’une grande poésie, Kadambari offre aussi de magnifiques paysages et dépeint la vie telle qu’elle pouvait être dans la magnifique résidence de la famille Tagore à Calcutta : échanges littéraires dans le jardin avec de prestigieux invités, relations entre les femmes de la famille, rôle de Jyotirindranath auprès de son jeune frère.

Le film dépeint aussi l’implication des femmes dans le domaine littéraire, et la question de l’éducation des femmes, notamment dans une scène où elles discutent entre elles d’un magazine littéraire de l’époque du nom de Bangadarshan, dont Rabindranath Tagore deviendra l’éditeur.

 

Kadambari sera projeté dans le cadre de la 7ème édition du festival de films CinéMasala “Artistic India!” à l’Université de Lausanne le 22 novembre prochain. Programme du festival et informations ici.

 

[1] Tagore, Rabindranath, L’Offrande lyrique suivi de La Corbeille de fruits, traduits de l’anglais par André Gide et Hélène du Pasquier, Paris : Gallimard, 2006 [1949/1963], p. 11.
[2] Tagore, Rabindranath, The Gardener, traduit du bengali par l’auteur, Londres : MacMillan & Co., 1914.

 

Image du bandeau: Photo de Kadambari Devi; domaine public: https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Kadamvari_Devi_photograph.jpg

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