La rage au coeur, itinéraire d'une cabossée

Partir ou mourir

Je m’appelle Myriam. Je suis une jeune femme pleine de vie.
J’ai vécu l’enfer. Mon coeur a explosé de chagrin. Mon corps a explosé de douleurs.

Enfance

Je suis née en 1994, dans une famille aisée. On m’a expliqué qu’on n’était pas n’importe quelle famille, qu’on était au-dessus de la moyenne, qu’on avait du sang noble. Les repas étaient des leçons de savoir-vivre menées à la baguette, pour apprendre à se « distinguer ». On m’a enseigné que seuls les premiers réussissent dans la vie. J’ai passé l’essentiel de mes étés dans une maison donnant littéralement sur la plage, en bord de mer, et les vacances d’hiver sur les pistes de ski. Je faisais partie de ces élèves modèles, ceux qui raflent tous les prix aux promotions annuelles de l’école, ceux qui s’attirent le respect et l’admiration des enseignants, écoutant avec assiduité les cours, sagement assis en silence la semaine et enchaînant les dimanches sur les bancs de l’Église, toujours sans mot dire.

L’exemple parfait de la famille parfaite tant désirée par mes géniteurs.

 

Ce que je n’ai pas encore mentionné, c’est que mon apprentissage de la vie se faisait à coup de patates sur ma tronche, de rétorsions, de séquestrations, d’insultes et de violences. Qu’à l’école, on m’appelait « mycose au cul ». Que celui qui me touchait, attrapait la peste. Qu’on m’a rouée de coups, ouvert les tibias à coups de pied, craché à la figure. Que mes parents avaient l’intime conviction que j’étais possédée par un terrible démon et que seul l’exorcisme pouvait me sauver de l’enfer.

Plus petite que tous, maigre, j’ai grandi de travers, sans guère d’ami ni d’espoir, le cœur brisé, hurlant ma rage et refusant de me soumettre, encaissant les coups plutôt que de me voir abandonner mon identité.

 

Le SED

Le mot maltraitance, ce sont mes médecins qui m’en ont parlé pour la première fois. J’étais en plein milieu de l’adolescence, et je me retrouvais dans l’hôpital principal de ma ville avec un drôle de nom à digérer, qu’on venait de m’attribuer: le syndrome d’Ehlers-Danlos. C’est une maladie rare, orpheline – car aucun traitement n’existe -, génétique, responsable d’une certaine fragilité des organes en raison du manque de collagène qu’elle induit. Les examens médicaux s’enchaînaient à une vitesse hallucinante, et les rapports de plusieurs pages se cumulaient, couverts d’encre. Mon cœur, mes yeux, les nerfs, le système digestif, la peau, les articulations, le système urinaire, la colonne vertébrale, etc., tous mettaient à jour une atteinte importante. L’analyse génétique confirma le tout par un nom barbare, éliminant tout doute subsistant: mutation COL5A1.

 

Face à ce chaos, mes parents rentrèrent dans un déni complet, riant de ces nouvelles :

« Ah tu les as bien eus, tu as joué la comédie et ils sont tombés dans le panneau ! Tu pourrais faire du théâtre ! »

 

Le personnel qui me suivait et me soignait était attentif à moi, m’écoutait. Stupéfaits devant ce comportement, ils me posèrent des questions. Face à leur gentillesse, à leur bienveillance, j’ai craqué et je suis tombée en larmes dans leurs bras. Inquiets, ils m’ont invitée à prendre contact avec le service de protection de la jeunesse, lequel m’a immédiatement assuré un suivi.

 

Le départ

Quelques mois plus tard, la situation se détériorant, je craignais pour ma vie et mon intégrité était déjà trop entamée. J’ai sauté par la fenêtre de ma chambre, je me suis cachée dans les buissons de la rue voisine et j’ai composé le 117, les mains tremblantes, le chat du quartier serré contre moi. La police est venue me chercher. J’avais 17 ans, un sac sur le dos avec ma peluche fétiche et quelques habits, l’inconnu en ligne de mire. Je suis montée dans la voiture aux sirènes tournoyantes qui s’enfonçait dans la nuit noire.

J’ai erré longtemps, sans repères, dormant là où l’on voulait bien m’accueillir, mangeant la nourriture que l’on était d’accord de me donner, luttant pour obtenir l’aide du service social, dubitatif au vu du salaire de mes parents. J’ai connu la faim – avec par exemple 20 CHF pour couvrir tous les frais et ma nourriture durant un mois – , l’instabilité, le désespoir. Pourtant de cette ombre des personnes sont apparues pour me guider et petit à petit, je me suis reconstruite de mes cendres.

 

Un nouvel élan

J’ai trouvé une chambre dans un foyer glauque pour les gens “comme moi”, un travail et j’ai commencé le sport. D’abord 12 kilomètres à vélo, puis 40, puis 180. Ensuite, j’ai continué avec la course à pied. Les compétitions s’enchaînaient. Les vingt kilomètres sur route se sont rapidement transformés en septante kilomètres en montagne. Je trouvais un nouvel élan à mon existence, de véritables amitiés se tissaient et je vivais des moments riches en émotion. Mon corps, étonnamment, s’adaptait et la maladie se faisait plus discrète, les douleurs et la fatigue diminuant au fur et à mesure que je cherchais mes limites physiques.

Je me suis lancée dans des études en biologie, et j’ai déménagé dans une vraie chambre d’étudiant. Deux ans plus tard, j’essuyais un échec définitif, je perdais le financement que j’avais obtenu pour mon cursus universitaire, je me retrouvais à nouveau sans logement et sans le sou. Au même moment, le cardiologue m’annonçait que j’allais devoir me faire opérer à cœur ouvert. Les compétitions et les entraînements avec mon équipe étaient désormais interdits et moi, je plongeais droit dans les abîmes.

 

A deux doigts de la mort

Perdue, remplie de chagrin, et malgré l’avis négatif des médecins, j’ai décidé de traverser les Alpes suisses en courant, sur plus de 400 kilomètres, du Liechstenstein jusqu’à Lausanne, accompagnée et soutenue par mon ancien entraîneur, ami, et l’un des meilleurs coureurs d’ultra, Diego Pazos. J’ai retrouvé un travail, dans un magasin de sport. Quelques mois plus tard, j’entrais à l’hôpital pour l’opération prévue. Ils ont scié mon sternum en deux, ont branché mon cœur à la machine cœur-poumon, l’ont arrêté, ont réparé ma valve aortique et remplacé une partie de mon aorte. A peine sur pied, de graves complications – sans le pressentiment inexplicable de la cardiologue, je serais morte – m’ont renvoyée d’urgence au bloc opératoire pour une deuxième intervention chirurgicale.

 

Je m’en vais

Une fois sortie de ce gros bloc gris qui a failli m’avaler, j’ai convenu avec mon employeur de faire un apprentissage dans son entreprise. Deux ans plus tard, à 24 ans, je le termine avec brio. Je suis première du canton. Les sports de montagne ont laissé place à la boxe, devenue essentielle pour me permettre de recracher la haine de mon passé qui me ronge et pour me guider vers un nouveau chemin. Mon coach, Jamal, devient mon mentor. Il me soutient avec bienveillance, me permet de retrouver ma force, et de m’épanouir. J’acquiers enfin un peu de stabilité. Pourtant, brûlée à vif par les blessures du passé, épuisée après m’être trop donnée au travail, le cerveau rempli de milliards de questions, je décide de tout quitter pour une grande aventure. Je démissionne de mon emploi et me prépare à partir en stop. Ainsi en septembre je m’en irai de la Suisse pour un long voyage en direction du Sri Lanka, à la recherche d’une certaine sérénité, espérant semer en chemin la haine et la colère qui me rongent.

C’est cette nouvelle vie que je vous propose de découvrir et de suivre ici. Je vous partagerai mes questionnements, mes rencontres, mon voyage, mes réflexions…

 

“Je ressemble aux oiseaux, disait-elle. J’apprends à chanter dans les ténèbres.”

(Denis Diderot)

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