Combats culturels

Quand la directrice de l’OFC baisse le rideau en plein acte…

…ça laisse songeur. Bien sûr, Isabelle Chassot est dans son droit quand elle brigue un maroquin de sénatrice et, bien sûr, on pourra espérer qu’elle l’usera à œuvrer au soutien du secteur culturel.

Mais tout de même, alors que la culture a été fortement ballotée par la pandémie, qu’elle a payé un très lourd tribut avec seulement 4 mois ouverts entre mars 2020 et mai 2021, ce départ interroge. L’Office fédérale de la culture s’est en effet retrouvé en première ligne, par la force des choses et contre ses habitudes, dès l’annonce de fermeture des lieux culturels le 13 mars 2020.
Caractéristique du fédéralisme, la politique culturelle est de la compétence des Cantons, quand l’OFC, rattaché à l’Intérieur, se tient assez en retrait, s’occupant des bibliothèques et musées nationaux, du cinéma conjointement avec les Cantons, de quelques prix et des relations avec les organisations nationales des diverses disciplines. D’ordinaire, l’OFC ne s’exprime vraiment que tous les 4 ans, à l’occasion de la publication du Message sur la politique culturelle.

Mais voilà que la pandémie et son impact sur le secteur culturel ont perturbé le cours tranquille de l’OFC, qui s’est retrouvé en première ligne, comme interlocuteur de la Taskforce Culture1 et comme force de proposition et de gestion des indemnisations. Précisions cela : il s’agit bien d’indemnisations et non d’aides. Ce dernier terme est souvent utilisé par paresse, mais il est fort imprécis. Les actrices et acteurs culturels ne se sont pas retrouvés dans des situations périlleuses par leur faute, mais bien parce qu’il a été décidé de fermer les lieux culturels, l’accès à la culture n’ayant pas été considéré comme essentiel (nous y reviendrons dans un prochain billet). De là, il y a bien un dommage causé aux actrices et acteurs culturels et donc une indemnisation.

Indemnités largement insuffisantes

Or, et c’est un des nœuds du problème, les indemnisations décidées sont mal calibrées, ne collant que peu à la réalité de la diversité des modèles économiques ayant cours dans le secteur culturel. Fatalement, cela produit des indemnités qui sont loin (parfois très loin) d’être à la hauteur des pertes subies. Ce constat est valable pour les « entreprises » culturelles comme pour les actrices et acteurs du domaine, ce qui signifie que ni les indemnités pour les structures (lieux culturels, entités de production), ni les aides à la personne (APG, RHT ou aide d’urgence) ne sont suffisantes.

Quand on sait la précarité économique du milieu, on peut imaginer les dégâts à court, moyen et long terme. Pour la seule année 2020, l’OFS constate une diminution de 5% des emplois dans le secteur2. Cela représente plus de 15’000 emplois rayés de la carte. Et ça n’est, hélas, qu’un début car, faute de statut, il y a fort à craindre que celles et ceux qui survivent grâce aux aménagements de la Loi sur le chômage auront grand peine à renouveler leurs droits dans les mois à venir.

Cela parce que les deux arrêts qu’a connu le secteur culturel auront des conséquences dans la durée. A l’instar du gel pour les récoltes, ces arrêts ont mis en péril toute la chaîne de production, saturant nombre de saisons à coups de reports, parfois à plus d’un an, de projets alors en cours de travail. Il découle de cette situation qu’il faudra du temps pour que l’on puisse absorber les effets de ces arrêts. Cela parce que le système de subventionnement est presque uniquement basé sur la diffusion des œuvres et non sur le financement du travail leur permettant d’exister.

De la même manière, le programme de soutien, dit de « transformation » fait la part belle aux aspects structurels et numériques, deux éléments qui se marient mal avec l’essence même des arts vivants et avec ce que la culture produit en premier lieu : le lien social.

Démission des pouvoirs publics ?

Alors que certains mettent beaucoup d’énergie à s’écharper sur le certificat sanitaire, on pourrait ainsi oublier ce qui précède et qui est bien plus dangereux : une réponse étatique largement insuffisante face aux tourments dans lesquels les actrices et acteurs culturels ont été plongés par décision des autorités. La Taskforce Culture a d’ailleurs rappelé bientôt sur tous les tons3 qu’il y avait urgence à agir et que les indemnisations devaient impérativement être renforcées, hélas sans grande écoute de la part des pouvoirs publics fédéraux.

Dans un tel contexte, le départ de la Cheffe de l’OFC, alors que ces problèmes persistent, donne l’impression d’illustrer la démission de l’Etat face à ses obligations.

Reste à espérer que la personne qui succèdera à Mme Chassot aura à cœur d’empoigner ces problèmes et de leur apporter des solutions à la hauteur de l’enjeu : la survie de celles et ceux qui œuvrent à la création et la conservation culturelle dans notre pays et partant, de la possibilité pour le public de retrouver la richesse et la diversité de la production culturelle nationale.

1 La Taskforce Culture regroupe 5 organisations faîtières, Suisseculture, Suisseculture Sociale, Cultura, Cinesuisse et le Conseil suisse de la musique. En plus de celles-ci, une trentaine d’associations professionnelles participent à ses réflexions.

2 https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/actualites/quoi-de-neuf.assetdetail.17224094.html 

3. https://taskforceculture.ch/08-09-2021-cdp-la-taskforce-culture-demande-la-prolongation-de-toutes-les-mesures-de-soutien-et-dindemnisation-jusqua-la-fin-de-2022-au-moins/

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