Un pas en avant

Spiritualités sur mesure

En Suisse, la proportion de personnes affirmant croire en « une sorte de puissance supérieure » différente de Dieu représente un quart de la population, selon une enquête menée en 2019 par l’OFS. Cette proportion en augmentation démontre un intérêt croissant pour une spiritualité hors religion, plus personnelle, dénuée de dogmes et de codes. Cette croyance envers une entité abstraite plus grande que l’être humain influence-t-elle le bien-être et la santé de l’individu ?

« La spiritualité, c’est se sentir connecté à quelque chose ou quelqu’un de plus grand que soi » explique Corinne Jeanmonod, accompagnante spirituelle. « Avant ma naissance et après ma mort, la vie existe et continue son cours ; je suis en vie, mais la vie, ce n’est pas moi » ajoute Jean-Michel Brandt, qui soutient également les personnes d’un point de vue spirituel dans les grandes étapes de leur vie. Ce couple lausannois qui a fondé l’Horme propose des séances en individuel sur ces thématiques et organise des cérémonies laïques pour les naissances, les mariages et les enterrements.

L’accompagnement spirituel met l’accent sur le sens, le pourquoi de la vie. Ceci dit, ce n’est pas le seul type de thérapie où la transcendance joue un rôle important. Les Alcooliques Anonymes nomment la croyance en « une puissance supérieure qui peut rendre la raison » comme deuxième étape de leur célèbre programme pour s’affranchir de leur dépendance. De même, l’addictologue Jacques Besson écrit que spiritualité et addiction sont « les deux faces d’une même monnaie, autour de la réponse des êtres humains face à l’angoisse fondamentale. L’addiction fonctionne comme automédication, aux prix d’une attaque des liens et du sens ; la spiritualité contribue à la nécessaire cohérence, base de la salutogénèse, productrice de lien et de sens »1. Ce chef du service de psychiatrie du CHUV considère que la spiritualité est une priorité de santé publique. En quoi cette croyance en une puissance supérieure est-elle autant aidante ?

« La spiritualité répond à un besoin de sécurité face aux incertitudes, à la solitude et à la mort » répond Corinne Jeanmonod. Elle mentionne notamment les réactions des français, peuple de réputation très laïque, suite aux attentats du Bataclan en 2015 : places recouvertes de gens manifestant leur soutien, déposant des fleurs, allumant des bougies – des actes très ritualisés et empreints d’une tradition chrétienne omniprésente dans leur culture (et la nôtre).

Ce type de rassemblement témoigne du besoin de se réunir face à l’atrocité d’un évènement et aux difficultés de la vie. La religion, en dépit des dogmes exclusifs et de la violence avérée que l’on peut lui reprocher, offrait ce type de lien entre humains il y a quelques décennies : elle entretenait des relations pérennes au sein de la population. « Aujourd’hui, les croyances spirituelles sont créées de manière plus solitaire et le poids du monde est plus lourd à porter » ajoute Corinne.

Ce besoin de sens et de connexion est également au cœur de préoccupations de plusieurs environnementalistes. L’urgence climatique réveille des questions liées à la spiritualité, mettant en lumière l’incertitude et la peur de la mort. Selon Cyril Dion, réalisateur de Demain, la sauvegarde de la planète doit passer par plus de liens entre les êtres humains, ainsi qu’un regard différent sur la nature. Ce type de reconnexion à un niveau spirituel est également proposé dans les ateliers de travail qui relie, où les personnes qui participent sont invitées à explorer leur lien à la terre. Les collapsologues Pablo Servigne, Raphaël Stevens et Gauthier Chappelle considèrent également que l’écologie a besoin d’être considérée par des (in)disciplines non scientifiques, y compris à des niveaux spirituels, et nécessite de tisser des liens, entre humains, mais aussi avec les non-humains.

Par quelle porte peut-on rentrer dans la spiritualité ? « Il s’agit surtout de se poser des questions, sur soi, sur la vie et sur son sens, et d’accueillir de manière inconditionnelle ce qui émerge » explique Jean-Michel. La méditation, par exemple, permet ce type d’introspection, mais il existe de nombreux moyens de se reconnecter à cette partie qui anime tant d’êtres humains. « Observez les animaux, ce sont de véritables maîtres de l’instant présent » sourit Corinne. Quelle que soit votre vecteur privilégié, la spiritualité semble offrir de nombreuses pistes à l’être humain, au niveau de son bien-être, mais aussi face aux défis du XXIe siècle.

En savoir plus

http://www.horme.ch/

https://www.travailquirelie.ch/

https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/catalogues-banques-donnees.assetdetail.15022959.html

Besson, Jacques. Addiction et spiritualité. Spiritus contra spiritum. Éditions érès 2019.

Dion, Cyril. Petit manuel de résistance contemporaine. Éditions Actes Sud, 2021.

Servigne, Pablo, Raphaël Stevens, and Gauthier Chapelle. Une autre fin du monde est possible. Média Diffusion, 2018.

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