Un pas en avant

Une comparaison gagnante

Alors que les réseaux sociaux favorisent des émotions envieuses en démultipliant les motifs de comparaison entre les uns et les autres, Thierry Paulmier, consultant en intelligence émotionnelle, propose de voir la comparaison sous un autre angle, dévoilant l’opportunité de cultiver l’admiration et la gratitude.

Image : Sasint

Au terme d’une journée peu productive, le statut Facebook d’une connaissance peut inviter un discours envieux à s’installer au creux de l’oreille: « Elle ne mérite pas de décrocher cet emploi, elle s’est sûrement fait pistonner, il aurait mieux valu qu’elle échoue ». À défaut d’être réjouissante, cette nouvelle vient provoquer un sentiment d’échec qui se cache derrière des prétextes dévalorisant ce succès. En quoi la réussite d’autrui réduirait-elle la valeur de soi ?

La comparaison a mauvaise réputation

« La personnalité commence où finit la comparaison2 ». Feu Karl Lagerfeld n’était pas le premier à condamner ce comportement naturel consistant à se réévaluer en observant les agissements d’autrui. Le stoïcien Sénèque, lui aussi, considérait que la comparaison était un obstacle au bonheur3. Sauf, bien sûr, si elle visait des personnes moins chanceuses que soi – une pratique qu’il préconisait pour se remonter le moral4. Enfin, la psychologue britannique Linda Blair considère que la seule compétition qui vaille est celle établie avec soi-même5. Cette idée s’inscrit dans un mouvement très répandu sur internet, qui valorise la comparaison dite « temporelle » (individuelle) aux dépens de la comparaison « sociale » (avec les autres). Si ces considérations prétendent lutter contre les affres de l’envie, elles négligent l’une des issues possibles à la comparaison avec autrui : l’admiration.

Honnêteté envers soi-même

Le regard porté vers la supériorité peut générer des sentiments destructeurs : « la comparaison dont on sort en position d’infériorité est humiliante lorsque l’on refuse l’abaissement qu’elle occasionne face à l’autre ». Thierry Paulmier, consultant en intelligence émotionnelle, rappelle que cette souffrance ne provient pas de la réussite d’autrui, mais bel et bien du rapport que l’on décide d’entretenir avec cette personne. Car la comparaison se fait nécessairement avec des individus présentant une certaine proximité avec soi – en termes d’âge, de métier, de genre, d’origine, ou autre. Ce sont précisément ces similitudes qui rendent insupportables la moindre petite différence observée à son propre désavantage : si l’on se laisse dominer par l’envie, la supériorité d’autrui sera vécu comme un échec personnel. « Il est donc important d’être lucide concernant ses sentiments vis-à-vis des exploits de son entourage et de savoir reconnaître que la tristesse ou la colère qu’ils nous inspirent proviennent de l’envie », précise Thierry Paulmier : dès lors que cette émotion pernicieuse est identifiée, on peut agir afin de la remplacer par une source de motivation.

De l’envie à l’admiration

La supériorité est un fait avéré : on trouvera toujours une personne meilleure que soi dans un certain domaine. Thierry Paulmier invite à faire preuve d’humilité et à accepter cette réalité. Si cette étape demande des efforts considérables, elle permet également de transformer un sentiment néfaste à l’estime de soi en une émotion inspirante. « Cela réclame notamment de poser des actes forts qui visent à lutter contre les tendances naturelles de l’envie. Par exemple, au lieu d’éviter la personne enviée parce que sa présence nous ramène trop à notre propre infériorité, on peut choisir de se rapprocher d’elle, de lui témoigner de l’admiration et de lui demander des conseils ». Cette attitude permet d’activer en soi des sentiments de gratitude et d’admiration. On crée également une connexion positive avec l’être que l’on décide d’applaudir. Thierry Paulmier invite à cultiver ces émotions de manière plus systématique, en prenant le temps de se trouver des héros et des héroïnes, non seulement auprès de personnalités célèbres ou historiques, mais également dans son entourage. Cela permet de tendre vers un modèle encourageant, de se sentir inspiré et d’entretenir un sentiment de gratitude. En fin de compte, la solution du problème se trouve parfois dans le problème lui-même, dès lors que l’on s’autorise à le percevoir comme un cadeau.


Le site de Thierry Paulmier : https://www.emothink.com/

1 « Studies show that (especially passive) Facebook use indeed predicts different measures of social comparison as well as envy ».
Appel, Helmut, Alexander L. Gerlach & Jan Crusius, « The interplay between Facebook use, social comparison, envy, and depression », In Current Opinion in Psychology, 2016, vol. 9, p. 44-49.

2 Napias, Jean-Christophe, Patrick Mauriès & Charles Ameline, Le monde selon Karl. Citations choisies de Karl Lagerfeld. Paris : Flammarion, 2013.

3 « Ne faisons point de comparaison, réjouissons-nous de notre lot ; il ne sera jamais heureux celui que torture un plus heureux que lui ».
Sénèque, « La colère », trad. A. Bourgery, In Entretiens Lettres à Lucilius, Paris : Robert Laffont, Bouquins, 1993, III, XXX, 3, p.174.

4 « Au lieu de regarder combien de personnes il y a au-dessus de vous, songez combien il y en a en dessous ».
Sénèque, Lettres à Lucilius, Tome I (Livres I-IV), trad. Henri Noblot, Paris : Les Belles Lettres, 1985, II, lettre 15, 10, p.63.

5 « Nurturing competitiveness against yourself leads to higher self-confidence than wanting to be better than someone else ».
Blair, Linda, The Key to Calm : Your Path to Mindfulness – and Beyond, London : Hodder and Stoughton, 2014.

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