Les chroniques du #FerARepasser

La suisse romande pourrait devenir le laboratoire du paysage médiatique de demain

En matière de paysage médiatique romand, il y a un seul consensus: cela ne peut pas continuer ainsi.

Le paysage médiatique romand est dans la tempête, et rien n’indique que les vents vont baisser. Après des années où les tendances qui le malmènent ne cessent de se renforcer, il est aujourd’hui proche de l’implosion. Dans le débat que l’on observe aujourd’hui, on peut répertorier, en vrac et sans jugement, les constats suivants:

Nous sommes tous d’accord sur le fond

La question n’est pas aujourd’hui  de savoir s’il fallait sauver l’hebdo (qui a fait son temps) ou comment sauver Le Temps (nombre de personnes compétentes s’activent sur le sujet), mais bien : comment mettre en place les conditions cadres favorables à un paysage médiatique romand de qualité?

Sur l’utilité et la mission des médias, on peut probablement se mettre d’accord, par exemple en reprenant l’alinea 2 de l’article 93 « Radio et télévision » de la Constitution fédérale, et en remplaçant radio et télévision par acteurs médiatiques.

Art. 93 Radio et télévision

2 La radio et la télévision contribuent à la formation et au développement culturel, à la libre formation de l’opinion et au divertissement. Elles prennent en considération les particularités du pays et les besoins des cantons. Elles présentent les événements de manière fidèle et reflètent équitablement la diversité des opinions.

Oui, mais qui peut résoudre ce défi?


Les médias eux-mêmes ? Malheureusement pas.

Aucun acteur n’est capable aujourd’hui de résoudre ce défi seul, et surtout pas les médias eux-mêmes. Il leur manque le rôle qu’eux jouent pour les autres branches. Quelqu’un qui éclaire, qui met en perspective, qui aiguillonne, qui questionne et qui donne la parole. De la même manière qu’un médecin ne peut se soigner lui-même, la presse et les médias dans leur ensemble sont démunis.

Sans compter un autre aspect moins reluisant, qui est aujourd’hui occulté par la solidarité autour de la disparition de l’Hebdo et la situation au Temps. Dans ce microcosme, la concurrence est rude, les critiques fortes, les langues fourchues, mais rarement sur le devant de la scène. Si un journaliste se permettait de critiquer la politique d’un autre titre, ou l’article d’un collègue, ce ne serait pas considéré comme une critique constructive mais comme l’attaque déloyale d’un concurrent; pour certains, ce serait leur carrière qui pourrait en pâtir, le nombre d’employeurs dans la branche étant restreint. Bref, l’omerta règne et comme on l’a connu dans la médecine, la culture de l’erreur est peu développée, ce qui fragilise l’esprit d’innovation.

Autre raison qui n’aide pas : pour beaucoup, le métier de journaliste n’est pas comparable à un autre, et la haute mission qu’ils ont rend la remise en question plus difficile. On connaît ces phénomènes au sein d’autres corporations comme la santé, la police ou l’éducation.

Les médias sont au cœur de la solution. Mais ils ne la trouveront pas seuls, ni ne pourront la mettre en œuvre seuls.


La politique ? Non.

On touche là à un aspect central de la séparation des rôles entre pouvoirs dans une démocratie. Même les politiciens à l’éthique la plus forte, verront toujours les médias comme un canal privilégié vers leurs électeurs.

De même, un journal qui a le soutien d’un politique perd une partie de sa liberté.

La politique à un rôle essentiel à jouer pour mettre en place les conditions cadres nécessaires, elle doit participer au débat mais elle ne peut pas le mener seule.


Un mécène, une fondation ou un club autoproclamé ? Non plus

On a beaucoup parlé du soutien privé, organisé par exemple sous forme d’une fondation. Ce genre d’organisation peut être possible pour un seul titre, mais pas pour le paysage médiatique dans son ensemble. De plus, cette formule ne peut pas assurer le soutien démocratique nécessaire, et la faible taille du paysage médiatique romand ne permettrait pas à une diversité d’organisations porteuses de voir le jour. Techniquement plus facile, mais encore plus délicat en terme de démocratie, est la prise en main par un entrepreneur-mécène, comme l’ont été où le sont des Blocher, Trump, Berlusconi ou Bolloré. Un tel mécène ne peut avoir que deux intérêts directs : faire du bénéfice, ou influencer le contenu médiatique ; le second m’est particulièrement peu sympathique en terme de déontologie.

Mettre en place un dialogue des parties prenantes

Si personne ne peut trouver la solution seul, c’est qu’il faut le faire ensemble. Ou autrement dit, mener une démarche de réflexion stratégique, impliquant l’ensemble des parties intéressées. La nécessité d’une approche multi-stakeholder est d’ailleurs la conclusion à laquelle aboutit Michel Danthe dans l’éclairant interview donné dans l’émission « Médialogues » de samedi 18 février.

Qu’on appelle cela Etats-généraux, processus stratégique multisectoriel, dialogue des parties prenantes n’est pas important. Il est néanmoins essentiel, vital même, pour le paysage médiatique romand autant que pour notre démocratie, de mener au plus vite cette démarche, de manière structurée. Et le temps presse, car il faudrait en avoir posé les jalons avant que le Parlement fédéral ait bétonné la moitié des possibilités avec sa nouvelle concession SSR, ou que l’initiative No Billag coupe encore dans les moyens financiers accordés au paysage médiatique romand.

Chaque acteur doit être intégré au bon moment, avec la bonne forme, afin d’aboutir en quelques mois à une stratégie que chacun pourra mettre en œuvre à sa manière et dans son domaine d’action. Le rôle des politiques pourrait être celui-ci : inviter, structurer et co-financer un tel processus.

Avec quel contenu ?

Loin de moi l’idée de vouloir donner ici des solutions. Mais parmi les questions que l’on pourra traiter dans un tel dialogue, pourraient figurer, sans tabou :

On trouvera mille raisons à ne pas ouvrir un tel chantier. Des acteurs qui n’ont pas l’habitude de réfléchir ensemble et de manière stratégique devront le faire. C’est un sujet passionnant. Ce sera une contribution majeure à l’évolution de notre société en ce début de XXIème siècle. La taille et le petit nombre d’acteurs qui composent le paysage médiatique romand, ainsi que les très hautes compétences journalistiques sur place devraient permettre de faire émerger une approche innovante. Les énergies sont là, sachons les mettre en valeur à bon escient !

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