Les chroniques du #FerARepasser

Avec l’initiative #EconomieVerte, écologie et économie se tournent enfin vers l’avenir.

Voilà, nous y sommes presque! Il semble que économie et écologie aillent désormais de pair et se tournent vers l’avenir; du moins c’est ce que semble considérer une majorité de personnes ayant participé au sondage gfs de ce vendredi 19 août. Mieux encore: tant ceux qui s’affilient aux “verts” que ceux qui se sentent proches des partis traditionellement liés à l’économie comme le PDC ou le PLR sont concernés.

L’objectif du texte de l’initiative est simple, et c’est toute sa force:

L’«empreinte écologique» de la Suisse est réduite d’ici à 2050 de manière à ce que, extrapolée à la population mondiale, elle ne dépasse pas un équivalent planète.”

Après une première phase de campagne des opposants ratée, car abusive, trop simpliste et mensongère (cet objectif nous empêcherait de manger des cervelas et de se doucher à l’eau chaude (sic)), il faut s’attendre à un regain d’énergie de cette dernière.

Le soutien à ces derniers est en grande partie lié à une méconnaissance du domaine de l’environnement et de son évolution, à un manque de compétence en management et en changement organisationnel, et à des positions tranchées de certains qui n’arrivent pas à franchir les barrières idéologiques; j’ai donc consacré ma soirée de repassage d’hier à noter quelques observations et réflexions que j’ai pu faire dans les dernières années, notamment en discutant avec les différents acteurs économiques déjà bien actifs dans le domaine environnemental.

L’arrivée d’une nouvelle génération.

Le soutien large à cette initiative est un succès tant pour l’économie que pour l’écologie, et il est à mettre en lien avec l’avènement d’une nouvelle génération au sein des verts (les conseillères nationales Adèle Thorens, Bastien Girod, Jonas Fricker, etc…), qui au-delà de ses convictions, dispose de véritables compétences professionnelles en matière d’environnement, et a su se distancier des vieux dogmes anti-économiques et autres guerres de tranchées.

Les politiques environnementales évoluent rapidement.

Cette maturité longtemps attendue est le fruit d’une longue évolution des politiques de protection de la nature. Il est intéressant d’en relever les étapes principales:

L’économie verte est initiatrice d’un secteur économique nouveau et à grand potentiel

Voilà pour l’histoire; le plus important est néanmoins le futur; et là, l’initiative laisse la porte ouverte à la prochaine étape de l’évolution des politiques environnementales: non plus celle des interdits, des limitations, des taxes ou du management intégré, mais celle de la créativité et de l’entreprenariat, des nouvelles formes de partenariat entre économie et consommateurs. Le plus grand potentiel pour diminuer notre empreinte écologique se trouve en effet dans le redesign de modèles d’affaires et la création de nouveaux services, et pas uniquement dans l’optimisation du recyclage. Je pense là à tout le domaine de l’économie de la fonctionnalité, de l’économie des cercles fermés, des cleantechs, autant dans les domaines de l’alimentation, des services ou encore par exemple de la mobilité (car sharing, livraisons à domicile, domotique, écologie industrielle ne sont que quelques un des exemples qui se développent déjà très rapidement aujourd’hui sur le marché). Ou autrement dit, comment offrir au client un service identique, voire meilleur, tout en repensant la façon de l’offrir. Par exemple, la plateforme PopnFix permet  d’échanger des services de réparation ou des objets, plutôt que d’en acheter à chaque fois de nouveaux. Il s’agit donc d’un travail réalisé en suisse, plutôt que de nouveaux appareils importés à peu de frais de l’étranger mais au prix d’une consommation importante de ressources.

Cette nouvelle économie est particulièrement intéressante économiquement et socialement, au sens qu’elle diminue l’intensité des flux de matières à grande échelle, tout en redonnant de l’importance au travail et au service sur place, autrement dit en rapatriant les emplois autour du lieu de consommation/utilisation. Dans le domaine de la restauration, cette tendance est déjà forte (produits locaux et saisonniers préparés sur place plutôt que produits industriels importés à bas prix); l’impact sur l’empreinte écologique de ce genre d’évolution est très importante, et montre que l’objectif est atteignable.

Dans l’environnement comme dans l’économie, ça bouge (parfois)

Dans un système en changement, les acteurs eux aussi doivent évoluer, parfois très rapidement. Prenons la mobilité pour exemple.

Le TCS avait été fondé en 1896 à Genève, par des cyclistes pour développer ce mode de locomotion à deux roues… 😉 Durant le 20ème siècle et avec l’avènement de la voiture, il a évolué en lobby centré sur l’automobile, opposé à toute politique (y compris environnementale) limitant la pratique motorisée individuelle. Ceci a libéré une place dans le paysage de la mobilité pour l’Association transport et environnement ATE, qui aujourd’hui encore se positionne comme ONG pour une mobilité durable, tout en offrant des services directs à ses membres pour une meilleure mobilité. Et finalement, en 2016, c’est le TCS et la MIGROS qui sont en train de monter un nouveau business dans le domaine de la mobilité écologique: les carvelo2go, une plateforme suisse pour le partage des vélos-cargos électriques, hébergée par les commerçants dans les villes: bref, l’économie verte par excellence!
Mais soyez rassurés, il reste des sections TCS qui n’ont pas encore réalisé que le monde avait changé, et si vous souhaitez vraiment rire un coup de ceux qui sont restés crochés dans les années 60, vous pouvez jeter un coup à l’ACS (automobile club de suisse) (aussi en terme de management).
Il y aurait encore des milliers de choses à dire, notamment sur le rôle des associations qui ont lancé les services de bike-sharing, qui aujourd’hui sont pour la plupart en mains d’entreprises tout ce qu’il y a de plus économiques, mais je me perds… (et le temps est la seule et unique ressource dont on dispose tous mais que l’on ne peut jamais ni recycler, ni économiser, uniquement partager).

Si l’on parle d’économie verte, il faut donc sortir des schémas d’acteurs traditionnels et manichéens; cela a été difficile pour certains écologistes, et cela le reste pour une partie de la vieille garde qui se prétend encore économique. Mais le changement est déjà en cours, et signe de la bonne santé de notre société.

L’économie verte n’est pas un choix et le statu quo n’est pas une option.

Les initiants seraient des rêveurs ou des idéalistes. Or les rêveurs sont aujourd’hui ceux qui n’ont pas encore compris la situation actuelle.

Pour rappel l’objectif du texte de l’initiative :

L’«empreinte écologique» de la Suisse est réduite d’ici à 2050 de manière à ce que, extrapolée à la population mondiale, elle ne dépasse pas un équivalent planète.”

La carte animée ci-dessous en montre la pertinence. En simplifiant un peu, les pays en rouge consomment davantage que la surface productive qu’ils possèdent. Les pays en vert consomment moins que la surface à leur disposition. Or, la terre étant ronde (jusqu’à nouvel avis), pour chaque pays étant dans le rouge, il faut un pays dans le vert, dans lequel les ressources consommées sont produites et exportées. Une planète rouge n’étant physiquement pas imaginable, un “développement” mondial avec l’idéal occidental pour tous les pays est impossible.

Il est intéressant de noter qu’en l’espace de quelques années, la Chine passe d’un pays en équilibre avec ses ressources à un pays en voie de surconsommation. L’ampleur de la croissance de ce pays et cette situation expliquent d’une part l’énergie qu’il met dans le développement de solutions cleantechs (avec près de 20% de la population mondiale, il est responsable de 36% des investissements mondiaux dans les énergies renouvelables), ainsi que sa politique massive d’acquisitions de terres et de ressources naturelles en Afrique. Chaque pays augmentant aujourd’hui sa consommation de ressources doit le faire en les gagnant sur un autre. Ici, le développement durable n’a plus rien de doux rêves idéalistes, mais est l’origine de conflits stratégiques, géopolitiques et économiques déjà bien actuels, qui touchent la suisse de plus en plus directement.

Le rapport de l’OFS présentant la méthodologie et la dernière carte de 2012 en détail est téléchargeable ici.

Autrement dit, notre monde est aujourd’hui déjà confronté aux limites de son système, et il est urgent pour la Suisse de s’approcher au maximum d’une empreinte écologique neutre équivalente à une planète. Chaque part importée deviendra de plus en plus conflictuelle et de plus en plus chère, déjà à très court terme. 2050 n’est donc pas un objectif trop ambitieux, si l’on considère que ne pas s’améliorer est porteur de lourdes difficultés sociales et économiques.

2050 n’est non seulement pas un objectif trop ambitieux, mais est un horizon (une génération) jusqu’auquel tant de choses sont faisables, dont nous n’imaginons encore même pas les possibilités. Il y a 34 ans, c’était le début du minitel et du PC… depuis il y a eu bien davantage que les 65% d’améliorations attendues par l’initiative… Et il ne s’agit pas d’être juste un peu plus efficace (auquel cas les 65% seraient effectivement inatteignables), mais de repenser toute une série de services.
Ceux qui souhaiteraient analyser où ils se situent personnellement dans le référentiel de l’empreinte écologique, peuvent le faire simplement sur la page www.footprint.ch du WWF Suisse.

Un objectif pour motiver, donner une direction et laisser agir librement

Avec un peu d’expérience, on sait que pour faire avancer une organisation, il faut fixer des objectifs. Et que ces objectifs doivent être spécifiques, mesurables, ambitieux, réalistes et définis dans le temps. “Une planète, en 2050” l’est parfaitement (ambitieuse ET réaliste). Ne pas fixer un tel objectif, c’est comme si un patron d’entreprise ne fixait pas d’objectifs ambitieux pour son entreprise, uniquement parce que les plus récalcitrants de ses employés ne seraient pas motivés pour. Un objectif peu ambitieux ne soulève jamais la même énergie, et est en général difficilement atteint. Si tous admettent que cet objectif est atteignable, il n’est en général pas assez ambitieux.
Cette approche par objectif est cohérente avec les démarches internationales en cours, comme l’accord de Paris sur le climat (COP21) ou les 17 objectifs du développement durable (SDGs).
On entend aujourd’hui plusieurs voix s’élever sur le fait que les mesures nécessaires pour atteindre l’objectif ne sont pas encore clairement définies. Les options sont connues. Mais précisément, c’est la force de ce texte de laisser d’abord l’initiative aux forces entrepreneuriales. Si on avait demandé en 1982 de définir le plan de mesures, les moyens nécessaires et les conséquences de celui-ci, pour garantir un accès internet à tous en Suisse, on n’y serait jamais arrivé. Du vrai management by objectives comme toute entreprise qui se respecte. Ce n’est que si cela ne suffit pas qu’il faudra sortir la carotte, voire le bâton. Lister les mesures à prendre serait le meilleur moyen de corseter l’économie, et d’empêcher les pionniers de trouver les voies les plus prometteuses. Les moutons noirs seront secoués en temps voulu, si nécessaire uniquement.

Les bonnes volontés sont là

Non seulement l’initiative va dans le bon sens, mais de nombreux acteurs de l’économie attendent une telle décision. Un acteur engagé très fortement dans la campagne est l’association swisscleantech (dont voici l’argumentaire); le pendant d’économiesuisse, mais orienté vers le futur.

D’autres associations travaillent depuis des années avec leurs entreprises membres (et pas des moindres) pour une économie plus verte, comme l’oebu ou encore le réseau construction durable suisse NNBS. On observe aussi que les hautes écoles sont très actives dans ce domaine, notamment les campus de l’UNIL et de l’EPFL.

Bref, si la direction stratégique est claire et ne change pas toutes les années, l’économie est en mesure de s’y adapter, d’investir en fonction et d’en saisir les opportunités du marché.

Pourquoi est-ce si difficile, à droite?

Après ce tour d’horizon, on peut se demander à quoi sont liées les réticences, voire même les oppositions farouches de certains.

La première raison est probablement que ces dernières années, les associations représentant classiquement les entreprises se sont durcies idéologiquement, fonctionnarisées et déconnectées des besoins des PMEs sur le terrain. Elles ont davantage une attitude de syndicaliste franchouillard que de promoteur de la vivacité économique suisse. C’est une difficulté pour l’initiative, et surtout un problème pour la suisse.

La seconde est le manque d’intérêt du ministre de l’économie sur le dossier. Outre quelques platitudes (voir ci-dessous), il ne s’est pas penché sur le dossier et ne propose aucune vision pour l’économie suisse dans les années à venir.

 

Autre raison: à la tête des partis qui prétendent “représenter” l’économie, on trouve aujourd’hui (par exemple au PLR), pour l’essentiel des juristes, et aucun entrepreneur (ce manque de diversité professionnelle est au moins aussi problématique que le manque de personnalités féminines). Il n’est dès lors pas étonnant qu’il leur soit difficile de comprendre en quoi une initiative posant un objectif ambitieux est plus intéressante pour l’économie que des mesures détaillées et peu ambitieuses. La plupart raisonnent aussi en termes de politique environnementale du siècle passé et ne sont pas au fait des dernières tendances (lorsque je lis que la suisse est exemplaire en matière d’empreinte écologique parce qu’elle recycle très bien l’alu, je constate qu’on est resté bloqué mentalement dans les années 80…).

Heureusement, dans la base de ces partis l’esprit entrepreneurial est encore bien présent, et c’est ce qui explique que les membres PLR et PDC indiquent soutenir en majorité l’initiative dans ce dernier sondage. Il manque encore a quelques autres le courage de s’adresser à leur organes administratifs supérieurs et de se faire entendre. A l’instar de l’excellent texte (auf Deutsch) de Peter Metzinger, membre du PLR zurichois.

Et à gauche?

De l’autre côté, la gauche (PS) soutient l’initiative, mais est quasi invisible dans la campagne, davantage absorbée par les autres sujets. Et pourtant, les enjeux sociaux sont centraux: Qu’en est-il de l’équité et de la répartition des ressources (pillage de certains pays)? Quel est l’accès aux ressources offert aux plus faibles? Y a-t-il un droit d’accès aux ressources? Auxquelles? Les nouveaux modèles de business ne pourraient-ils pas être plus intensifs en main d’oeuvre, voir nécessiter plus de main d’oeuvre non qualifiée? Ces nouvelles entreprises seraient-elles les nouveaux ascenseurs sociaux qui manquent de plus en plus aujourd’hui?

Enfin de la politique motivante et qui regarde vers l’avant

Bref, les questions sont nombreuses; mais une chose est certaine, avec un tel objectif, les prochaines années s’annoncent passionnantes, motivantes et palpitantes. Pour le bien de notre économie, de notre environnement, du nôtre, et surtout: de celui de nos enfants… A nous de prendre le taureau par les cornes, en tant que consommateurs, acteurs économiques, et citoyens.

Mente ferroque

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