Du droit de vote aux carrières féminines, les hautes écoles doivent ouvrir la voie

Il y a 60 ans, les Vaudoises obtenaient le droit de vote au niveau cantonal. Se souvenir de cette victoire permet de rappeler combien l’égalité prend du temps et combien la participation de toutes et tous est urgente et nécessaire, en particulier au sein des hautes écoles de notre pays.

C’était un dimanche il y a 60 ans, le 1er février 1959. Ce jour-là, les Vaudoises devenaient les premières Suissesses à obtenir le droit de vote aux niveaux cantonal et communal, après plusieurs tentatives infructueuses.

58 ans plus tard, 1er février 2017, un mercredi cette fois, c’était à mon tour d’obtenir le droit de vote. Autour de moi, réunies au Palais de Beaulieu à Lausanne, plusieurs centaines de personnes déclinaient tour à tour un « Je le promets » ému et solennel, dans un français teinté d’accents multiples, mais toujours rempli d’un sentiment d’accomplissement. Les racines, ce n’est pas seulement où on naît, c’est aussi où l’on crée son histoire. Obtenir le droit de vote traduit un engagement dans et en faveur de la société qui nous accueille et dans laquelle on inscrit son histoire. Originaire moi-même d’un pays qui a connu un épisode de dictature au XXe siècle, je sais que la participation de toutes et tous à la construction de notre société n’est pas garantie.

Une victoire d’étape

La victoire obtenue le 1er février 1959 par les Vaudoises contenait néanmoins sa part d’ombre : lors de cette même votation, le suffrage féminin était largement refusé au niveau fédéral. Les femmes ont dû attendre jusqu’en 1971 pour l’obtenir. Exclure la moitié de la population de ce droit en raison de son genre ? C’est aussi aberrant que si on prohibait l’accès à la citoyenneté aux personnes mesurant moins d’1m65 !

Ce long combat appartient heureusement au passé. Aujourd’hui, quatre brillantes personnalités féminines forment la majorité du Conseil d’Etat vaudois. Et celles-ci ne représentent pas seulement les femmes, mais surtout des visions personnelles et différentes de la société.

Se souvenir du chemin parcouru permet de rappeler que les progrès en faveur de la justice prennent du temps. Si l’égalité entre hommes et femmes est acquise sur le plan juridique, il reste de nombreux obstacles socio-culturels pour qu’elle devienne effective. En tant que Rectrice de la plus grande Haute école spécialisée suisse, je ne peux que constater l’effet « ciseaux » : les étudiantes et les étudiants se retrouvent à proportions égales dans les filières Bachelor, mais plus on progresse dans le cursus académique, plus la part féminine baisse, pour n’atteindre plus que 30% au niveau des postes de professeur.

Les facteurs explicatifs sont complexes et multiples. Pensons par exemple à l’équilibre entre vie familiale et professionnelle, difficile à trouver dans les carrières scientifiques, qui exigent énormément d’investissement et une forte mobilité internationale au début.

Des talents équitablement distribués

Les femmes font encore l’objet de nombreux stéréotypes : il suffit d’observer la publicité actuelle d’une grande société horlogère qui représente la fille se coiffant avec sa mère et le garçon travaillant avec son père ! Les idées selon lesquelles les femmes seraient moins compétitives ou auraient de moins bonnes compétences analytiques que les hommes continuent d’exister. Sans parler de la maternité, qui représente la quintessence des injonctions paradoxales : on reprochera notamment à une femme qui travaille peu après son accouchement d’avoir un caractère trop dur, mais aussi à celle qui prolonge son congé maternité de manquer de volonté.

Si cette liste n’est pas exhaustive, je suis convaincue d’une chose : le talent est équitablement distribué entre hommes et femmes. Ne pas atteindre la parité dans les postes académiques revient donc à passer à côté de nombreux talents. Ce « brainwaste » a des conséquences fâcheuses : il implique un faible retour sur investissement pour la société, qui a dépensé des sommes considérables dans la formation des femmes. Sans parler de la perte de talents qui pourraient nourrir la recherche et l’innovation de demain, ainsi que la compétitivité des institutions et hautes écoles. Imaginez un instant que le CERN se soit privé des brillantes compétences de sa directrice, Fabiola Gianotti !

Introduire la perspective de genre dans la recherche

Le manque de représentativité des femmes dans les équipes de recherche peut aussi coûter cher en termes de vies humaines et d’argent : la plupart des médicaments ou des outils technologiques sont conçus pour des individus de sexe masculin mesurant 1m75. Prenez les « crash tests » de voitures : durant longtemps, les personnes ne correspondant pas à cette norme, comme les femmes enceintes, n’étaient pas prises en compte. Les systèmes de sécurité n’ont donc pas été adaptés à ces situations, ce qui a coûté de nombreuses vies. De même, les symptômes féminins d’accident cardio-vasculaire, pourtant l’une des premières causes de mortalité chez les femmes, étaient largement méconnus jusqu’il y a peu.

Introduire la perspective de genre dans la recherche – ce qu’on appelle la « gendered innovation » – n’est pas une simple idée politiquement correcte de plus, mais une nécessité.

La représentativité des femmes à tous les échelons académiques, ainsi que la gendered innovation, sont fortement soutenues par les hautes écoles. Quelle sera la bonne recette ? Elle n’existe probablement pas. Mais la multiplication des actions à tous les niveaux ne pourra qu’entraîner des effets positifs : donner le goût aux filles pour les disciplines scientifiques et leur montrer qu’elles sont capables d’y réussir aussi bien que les garçons ; travailler sur les biais cognitifs dans les processus de recrutement ; donner, tant aux hommes qu’aux femmes, davantage de flexibilité pour leur vie familiale…

Comme en politique, ce n’est qu’en s’assurant que l’ensemble de la société dans toute sa diversité participe et soit représentée que la recherche et l’enseignement de nos hautes écoles bénéficieront à toutes et à tous.

Luciana Vaccaro

Luciana Vaccaro, est docteure de l’EPFL, elle a fait ses études à Naples. Elle a débuté sa carrière au CERN avant d’être nommée à l’UNINE. Ensuite, elle a dirigé des formations en Management et santé à l’UNIL, avant de prend les rênes du Grants Office à l’EPFL. Nommée à la HES-SO en octobre 2013, elle est rectrice d’une institution qui compte 21'000 étudiants.

Une réponse à “Du droit de vote aux carrières féminines, les hautes écoles doivent ouvrir la voie

  1. Belle profession de foi de femme, bravo.
    Espèrons que la manifestation des femmes ne sera pas récupérée, à l’instar des jeunes pour leur futur, par des amalgames politiques désuets!

    Courage, femmes, je vous aime
    🙂

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