La prise de pouvoir des étudiants

Les participants aux manifestations pour le climat, dans leur grande majorité jeunes et étudiants, possèdent deux caractéristiques qui vont au-delà de la cause qui les mobilise. La première est un engagement fort qui donne du sens à leur action individuelle. La seconde est d’avoir réussi à infléchir l’agenda politique où figurent désormais en bonne place les préoccupations climatiques.

Ramenée à l’échelle d’une haute école spécialisée, il est également souhaitable de soutenir et encourager l’engagement personnel des étudiants afin de renforcer leur participation dans la gouvernance de l’institution.

Une mise à plat des hiérarchies

Le profil des étudiants a changé. La révolution des nouvelles technologies de l’information, dont les effets sont aujourd’hui décuplés par la digitalisation, est passée par là. Le Web, les smartphones et les réseaux sociaux ont bouleversé notre accès à l’information et nos manières de communiquer. Notre vision du monde s’est transformée. Le rapport à la connaissance s’est modifié. Celle-ci est désormais gratuite, accessible à tous et partout. Le professeur n’en est plus l’unique détenteur, mais un coach qui accompagne autant qu’il ne transmet, garant d’une approche scientifique parmi la redondance de l’information. Cette (r)évolution s’accompagne d’une recherche de sens chez les nouvelles générations. Elles entendent en donner à leur vie professionnelle, mais déjà en trouver lors de leur formation.

Pour une haute école, cela implique une transformation de son rôle éducatif, une redéfinition de son enseignement et de la manière de le concevoir en impliquant davantage les étudiants dans son fonctionnement. C’est le passage vers une «institution apprenante» qui transforme ses pratiques pour rester en phase avec son écosystème, tel que l’a décrit l’économiste et professeur à Harvard David Garvin.

Prendre conscience de sa voix

Dans ce mouvement de transformation qui remet à plat les hiérarchies, il est primordial que les étudiants s’engagent pleinement dans l’institution aux côtés des responsables de formation et des professeurs qui portent la responsabilité de la qualité de l’enseignement. Favoriser cet engagement, c’est l’objectif des processus collaboratifs et participatifs mis en place dans les hautes écoles, conformément aux exigences de l’accréditation institutionnelle selon la LEHE. Ainsi, la communauté HES-SO élit depuis 2015 des conseils participatifs qui associent le personnel et les étudiants aux décisions importantes. Dans ces assemblées très hétérogènes, les voix étudiantes peinent encore à se faire entendre. Le temps moindre des études, trois ans pour un Bachelor, permet difficilement de construire un discours sur le long terme, à l’inverse des représentants des corps d’enseignement et de recherche ou du personnel, salariés des hautes écoles. Mais la création de ces conseils est récente, l’outil est jeune et doit évoluer vers une véritable agora où les discussions sur les thèmes de société stimuleront la participation. La démarche contribuera au développement des hautes écoles et renforcera la pertinence de leurs actions.

Face aux mutations rapides et difficiles à anticiper de la société, nous avons besoin de la participation pour faire fonctionner les intelligences collectives qui apporteront des réponses agiles et adaptées. L’enjeu est désormais de mobiliser l’ensemble de la communauté étudiante et de développer une véritable culture de la participation.

Davantage impliqué dans la construction de sa formation, partenaire à part entière dans la gouvernance de son institution, l’étudiant sera un meilleur professionnel demain. C’est un véritable changement de paradigme dans la relation entre l’institution formatrice et ses futurs diplômés qui s’engage aujourd’hui.

Du droit de vote aux carrières féminines, les hautes écoles doivent ouvrir la voie

Il y a 60 ans, les Vaudoises obtenaient le droit de vote au niveau cantonal. Se souvenir de cette victoire permet de rappeler combien l’égalité prend du temps et combien la participation de toutes et tous est urgente et nécessaire, en particulier au sein des hautes écoles de notre pays.

C’était un dimanche il y a 60 ans, le 1er février 1959. Ce jour-là, les Vaudoises devenaient les premières Suissesses à obtenir le droit de vote aux niveaux cantonal et communal, après plusieurs tentatives infructueuses.

58 ans plus tard, 1er février 2017, un mercredi cette fois, c’était à mon tour d’obtenir le droit de vote. Autour de moi, réunies au Palais de Beaulieu à Lausanne, plusieurs centaines de personnes déclinaient tour à tour un « Je le promets » ému et solennel, dans un français teinté d’accents multiples, mais toujours rempli d’un sentiment d’accomplissement. Les racines, ce n’est pas seulement où on naît, c’est aussi où l’on crée son histoire. Obtenir le droit de vote traduit un engagement dans et en faveur de la société qui nous accueille et dans laquelle on inscrit son histoire. Originaire moi-même d’un pays qui a connu un épisode de dictature au XXe siècle, je sais que la participation de toutes et tous à la construction de notre société n’est pas garantie.

Une victoire d’étape

La victoire obtenue le 1er février 1959 par les Vaudoises contenait néanmoins sa part d’ombre : lors de cette même votation, le suffrage féminin était largement refusé au niveau fédéral. Les femmes ont dû attendre jusqu’en 1971 pour l’obtenir. Exclure la moitié de la population de ce droit en raison de son genre ? C’est aussi aberrant que si on prohibait l’accès à la citoyenneté aux personnes mesurant moins d’1m65 !

Ce long combat appartient heureusement au passé. Aujourd’hui, quatre brillantes personnalités féminines forment la majorité du Conseil d’Etat vaudois. Et celles-ci ne représentent pas seulement les femmes, mais surtout des visions personnelles et différentes de la société.

Se souvenir du chemin parcouru permet de rappeler que les progrès en faveur de la justice prennent du temps. Si l’égalité entre hommes et femmes est acquise sur le plan juridique, il reste de nombreux obstacles socio-culturels pour qu’elle devienne effective. En tant que Rectrice de la plus grande Haute école spécialisée suisse, je ne peux que constater l’effet « ciseaux » : les étudiantes et les étudiants se retrouvent à proportions égales dans les filières Bachelor, mais plus on progresse dans le cursus académique, plus la part féminine baisse, pour n’atteindre plus que 30% au niveau des postes de professeur.

Les facteurs explicatifs sont complexes et multiples. Pensons par exemple à l’équilibre entre vie familiale et professionnelle, difficile à trouver dans les carrières scientifiques, qui exigent énormément d’investissement et une forte mobilité internationale au début.

Des talents équitablement distribués

Les femmes font encore l’objet de nombreux stéréotypes : il suffit d’observer la publicité actuelle d’une grande société horlogère qui représente la fille se coiffant avec sa mère et le garçon travaillant avec son père ! Les idées selon lesquelles les femmes seraient moins compétitives ou auraient de moins bonnes compétences analytiques que les hommes continuent d’exister. Sans parler de la maternité, qui représente la quintessence des injonctions paradoxales : on reprochera notamment à une femme qui travaille peu après son accouchement d’avoir un caractère trop dur, mais aussi à celle qui prolonge son congé maternité de manquer de volonté.

Si cette liste n’est pas exhaustive, je suis convaincue d’une chose : le talent est équitablement distribué entre hommes et femmes. Ne pas atteindre la parité dans les postes académiques revient donc à passer à côté de nombreux talents. Ce « brainwaste » a des conséquences fâcheuses : il implique un faible retour sur investissement pour la société, qui a dépensé des sommes considérables dans la formation des femmes. Sans parler de la perte de talents qui pourraient nourrir la recherche et l’innovation de demain, ainsi que la compétitivité des institutions et hautes écoles. Imaginez un instant que le CERN se soit privé des brillantes compétences de sa directrice, Fabiola Gianotti !

Introduire la perspective de genre dans la recherche

Le manque de représentativité des femmes dans les équipes de recherche peut aussi coûter cher en termes de vies humaines et d’argent : la plupart des médicaments ou des outils technologiques sont conçus pour des individus de sexe masculin mesurant 1m75. Prenez les « crash tests » de voitures : durant longtemps, les personnes ne correspondant pas à cette norme, comme les femmes enceintes, n’étaient pas prises en compte. Les systèmes de sécurité n’ont donc pas été adaptés à ces situations, ce qui a coûté de nombreuses vies. De même, les symptômes féminins d’accident cardio-vasculaire, pourtant l’une des premières causes de mortalité chez les femmes, étaient largement méconnus jusqu’il y a peu.

Introduire la perspective de genre dans la recherche – ce qu’on appelle la « gendered innovation » – n’est pas une simple idée politiquement correcte de plus, mais une nécessité.

La représentativité des femmes à tous les échelons académiques, ainsi que la gendered innovation, sont fortement soutenues par les hautes écoles. Quelle sera la bonne recette ? Elle n’existe probablement pas. Mais la multiplication des actions à tous les niveaux ne pourra qu’entraîner des effets positifs : donner le goût aux filles pour les disciplines scientifiques et leur montrer qu’elles sont capables d’y réussir aussi bien que les garçons ; travailler sur les biais cognitifs dans les processus de recrutement ; donner, tant aux hommes qu’aux femmes, davantage de flexibilité pour leur vie familiale…

Comme en politique, ce n’est qu’en s’assurant que l’ensemble de la société dans toute sa diversité participe et soit représentée que la recherche et l’enseignement de nos hautes écoles bénéficieront à toutes et à tous.

L’insécurité juridique est néfaste pour les hautes écoles suisses

Je me souviens très bien du dimanche 9 février 2014 ainsi que des jours qui ont suivi. Tout à coup les étudiantes et étudiants de Suisse étaient dans les rues et reprochaient aux responsables des hautes écoles de s’être tus durant la campagne sur l’initiative dite contre l’immigration de masse. La Suisse découvrait que les hautes écoles allaient être parmi les premières à subir les conséquences de ce vote, avec l’exclusion des programmes-cadres européens de recherche et de mobilité.

A l’époque, nous, les rectrices et les recteurs des universités et des hautes écoles spécialisées, avons collectivement pris conscience de la nécessité de nous impliquer dans le débat politique, à notre mesure. Pour des scientifiques qui accordent une grande importance au caractère indépendant de l’activité de recherche et de formation, cela ne va pas de soi. Avec quelques collègues, j’ai tenté d’attirer l’attention sur les enjeux, mais timidement et sans réussir à trouver le chemin de l’opinion publique. Notre réserve a conduit à un manque d’information parmi les votants, ce que réprouve notre culture scientifique.

Cinq ans plus tard, une nouvelle initiative visant l’ancrage international de la Suisse est soumise au peuple et aux cantons. En apparence, l’initiative dite pour l’autodétermination de l’Union démocratique du centre (UDC) ne concerne pas les hautes écoles. Ses partisans ont commencé par dire qu’elle visait à prémunir la Suisse contre l’influence des juges étrangers. Ils ajoutent aujourd’hui que l’enjeu est de renforcer la démocratie directe, qui serait menacée. Comme Italienne d’origine, je dois dire que je peine à comprendre cet argument y compris en matière de politique étrangère !

Ne pas affaiblir un pilier du succès romand
En voulant faire primer le droit suisse sur le droit étranger, l’initiative affaiblit un pilier important de la réussite suisse : la sécurité juridique. A la HES-SO, nous mesurons bien à quel point le droit international est un élément essentiel du succès des PME romandes, avec qui nous sommes engagés dans de nombreux projets de recherche appliquée. Grâce aux contrats passés avec d’autre Etats, souvent plus grands et plus puissants que la Suisse, nos PME ont un accès facilité aux marchés internationaux, où elles gagnent jusqu’à un franc sur deux. Si le droit suisse devait primer, ce ne sont pas moins de 600 conventions qui seraient potentiellement mises en jeu. Fragilisées dans leur accès aux marchés étrangers, nos entreprises ne pourraient plus consacrer autant de moyens et d’énergie aux projets de recherche et développement qui font leur succès.

La HES-SO est à l’image de ces PME. Lorsqu’ils l’ont fondée, les cantons de Suisse occidentale lui ont donné le mandat de se positionner comme une actrice reconnue du paysage suisse et international des hautes écoles et de contribuer activement au rayonnement de la Suisse romande. Les accords internationaux et la sécurité juridique sont des conditions essentielles pour que la HES-SO accomplisse ce mandat. Le processus de Bologne, qui a abouti à l’espace européen de l’enseignement supérieur, le programme-cadre de recherche européen et le programme européen de mobilité sont des outils qui permettent à la HES-SO de défendre sa position au niveau national et international : une haute école proche du terrain et qui amène les personnes issues de la formation professionnelle à acquérir des compétences scientifiques.

Les hautes écoles ont payé le prix fort
Le domaine de la formation et de la recherche a payé le prix fort de l’initiative dite contre l’immigration de masse et des trente-six mois d’insécurité juridique qu’elle a créés. Dans un rapport publié en septembre 2018, le Secrétariat d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation a chiffré à 734 millions de francs le préjudice prévisionnel subi par la recherche et les PME innovantes suisses. La HES-SO ne fait pas exception, même si elle est une petite joueuse par rapport à certaines universités ou aux EPF. Alors qu’elle n’a eu de cesse d’améliorer ses participations aux programmes-cadres de recherche européens, la HES-SO enregistre à ce jour un recul significatif à la fois en termes de projets, de financements et de coordinations. Les chiffres de la mobilité estudiantine ont eux aussi subi un fort recul. Ce n’est que cette année que nous avons pu retrouver les niveaux de 2014 après de longs mois de négociations avec nos partenaires et de reconstruction d’un climat de confiance.

L’initiative dite « d’auto-détermination » est source d’insécurité juridique – et celle-ci est néfaste au développement de toutes les hautes écoles suisses.