Une Suisse en mouvement

Le certificat et la fatigue s’abattent sur la Suisse 

Fatigue est le mot qui semble s’imposer. Fatigue des vaccinés qui ne comprennent pas la position de la minorité non-vaccinée, fatigue de cette même minorité face à l’introduction du certificat covid dans tous les domaines du quotidien. Et fatigue de voir tant de débats déraper sur les réseaux sociaux.

Cette fatigue ne doit pas être sous-estimée, elle joue un rôle crucial dans les institutions de soins, mais également auprès des femmes et des hommes politiques qui gèrent cette crise depuis 18 mois. Face à cette fatigue, nous avons besoin de plus d’empathie et de bienveillance dans le débat. 

Je tente ici de poser quelques réflexions, tout en renvoyant à d’autres billets pour l’argument complet.

Conviction de base : le vaccin est une excellente chose, à titre de prévention individuelle et de contribution solidaire. Néanmoins, nous avons, en tant que société, choisi de ne pas rendre la vaccination obligatoire. Il existe donc une liberté de ne pas se vacciner. Cette liberté doit être protégée, même si les raisons invoquées pour ne pas se vacciner apparaissent irrationnelles (argument complet ici). Les non-vaccinés sont des “free-riders”: ils profitent de l’effort consenti par les vaccinés pour protéger la société. Un modèle alternatif vient d’être lancé aux USA où la vaccination devient obligatoire pour de nombreux groupes de population. Pour l’instant, la Suisse ne semble pas vouloir suivre cette piste mais le choix américain va certainement faire bouger les lignes ici également.

La liberté de se vacciner n’est pas attaquée de front, mais de tous les côtés. Il faut lancer ici un appel à l’honnêteté : s’il devient impossible de vivre une vie normale sans montrer le certificat et que les tests individuels sont payants (dès le 1er octobre), alors la vaccination devient de facto obligatoire. Pour juger de ce caractère de facto obligatoire, le critère n’est pas ce qui est possible, mais ce qui est normal. Il est possible de vivre comme un ermite, reclu dans son appartement, sans faire aucune activité. Mais cela ne doit pas être le critère pour juger du moment où le certificat devient de facto obligatoire. A l’inverse, le critère devrait être celui d’une vie “normale”.

Depuis les dernières annonces du Conseil fédéral, les activités culturelles, sportives, les visites en institutions de soins, l’accès à l’université deviennent dépendantes du certificat. L’accès au travail devient lui aussi l’objet du certificat, même si les modalités ne brillent pas par leur clarté. L’ordonnance prévoit ainsi que les employeurs peuvent “demander le certificat si cela leur permet de définir des mesures de protection appropriées ou de mettre en œuvre des plans de dépistage”.  Il ne fait guère de doute que certains employeurs demanderont le certificat dès lundi 13 septembre. Les non-certifiés devront-ils rester en home office ? Pourront-ils venir moyennant port du masque ? Quelles seront les nouvelles dynamiques dans les équipes ? Comment assurer la confidentialité des données médicales ? Autant de casse-têtes… 

Où est passé le « domaine vert » ? Dans sa première communication sur le certificat en mai 2021, le conseil fédéral avait distingué 3 domaines: vert, orange et rouge. Le domaine vert était protégé de l’utilisation du certificat. Il comprenait les manifestations privées et religieuses, les transports publics, les commerces, le lieu de travail ou les écoles. Ces domaines étaient particuliers car ils relevaient “soit de tâches étatiques, soit de droits fondamentaux et de libertés fondamentales”. Aujourd’hui, l’université et le lieu de travail ne sont plus protégés. Il y a dans le type d’arguments en faveur de l’extension du certificat covid une force inarrêtable, presque effrayante. « Il est possible de mener une vie normale sans faire X » (remplacez X par n’importe quelle activité) et « Les gens peuvent aller se faire vacciner, c’est leur faute/responsabilité s’ils refusent ce certificat ». Le danger ne vient pas d’une activité unique qui serait rendue impossible (par exemple la visite d’une discothèque durant l’été), mais du cumul des activités dépendantes du certificat. Chaque activité prise pour elle-même parait acceptable mais, mises bout à bout, elle englobe l’entier du quotidien.

Là aussi, il faut être honnête : les transports publics et les écoles pour les plus de 16 ans ne tiennent qu’à un fil. Le canton des Grisons avait d’ailleurs demandé d’étudier la possibilité d’utiliser le certificat dans les transports publics. Pourquoi pas ? Il est possible de vivre normalement sans prendre le train et les gens n’ont qu’à se faire vacciner. Face à cette tentation de la “pente glissante”, la question politique est ici celle des limites: quelle est la zone que nous refuserons de franchir et, surtout, pourquoi ?

Les tests sont la clef-de-voute du système : on rétorquera à raison qu’il n’est pas nécessaire de se vacciner et qu’il suffit de se tester. Il découle que la question du prix des tests (et de leur remboursement) devient clef (pour l’heure environ 50.- pour un test rapide). De manière générale, ce remboursement devrait être vu comme un investissement consenti par la majorité pour permettre à la minorité des non-vaccinés de continuer à exercer la liberté que la société leur reconnait. C’est particulièrement vrai lorsque des biens très importants sont en jeu (comme l’université ou le travail). Partout où l’exigence du certificat équivaut de fait à une obligation de vaccination, les tests devraient être remboursés. Il serait d’ailleurs intéressant de savoir combien ont coûté l’ensemble des tests payés par la Confédération depuis début 2021. Cela permettrait de mener un débat plus chiffré.

“Soit le certificat, soit la fermeture”

On opposera que tout ceci est bien gentil, mais que l’alternative qui s’offre à nous est celle-ci : soit le certificat, soit la fermeture généralisée. 

Qui décide des termes de l’alternative commande le débat : la tournure du débat actuel rappelle que celui qui formule l’alternative de négociation maitrise le débat, un grand classique de l’art de la négociation. 

Avant de discuter l’alternative, il faut donc se demander si les deux termes proposés sont les bons. Ici, les termes proposés sont trompeurs car d’une part la question clef se trouve dans les conditions d’accès au certificat, notamment la question du remboursement. Il faut donc demander “quel certificat ?”. D’autre part, comme l’avait rappelé le canton de Vaud dans sa prise de position lors de la dernière consultation, le certificat devrait être une mesure de dernier recours. Il faut donc ajouter à l’alternative toutes les mesures différentes et moins contraignantes qui permettraient d’atteindre l’objectif de protection.

=> A mon sens, l’alternative que nous devrions débattre est donc – au moins – celle-ci: certificat (sans tests remboursés) ou certificat (avec tests remboursés) ou autres mesures équivalentes ou fermeture. A nouveau, la question politique qui s’impose est celle de l’investissement consenti (et par qui) en matière de remboursement des tests.

Ceci étant dit, l’utilisation du certificat dans chacun des domaines proposés devrait être soumise à une même grille d’analyse.

  1. Le domaine d’activité soumis au certificat (par ex. les cafés et restaurants, ou les salles de spectacles, ou les activités sportives) est-il un lieu de contagion? Cette question est empirique et il est clair qu’on ne peut y répondre parfaitement. Ces chiffres – ou au moins des faisceaux d’indices – devraient néanmoins fournir la justification de base à l’utilisation du certificat. Si le domaine d’activité visé n’est pas un lieu de contagion (grâce aux mesures actuellement en vigueur ou en raison du type d’activité), alors il n’y a pas de justification pour imposer le certificat. 
  2. L’introduction du certificat dans un domaine d’activité est-elle une mesure d’ultima ratio ? Existe-t-il d’autres mesures capables d’atteindre le même objectif, en étant moins contraignant dans la perspective de la liberté de ne pas être vacciné? 

Ces deux conditions devraient permettre d’éviter qu’on impose un certificat pour des domaines d’activité avec très peu d’infections. En faisant une hypothèse où 80% des infections auraient lieu à l’école, dans les transports publics ou dans les réunions privées, imposer le certificat pour tous les autres domaines ne servirait à rien. Si quelqu’un possède ici des études empiriques capables d’invalider cette hypothèse, je suis preneur. 

Ou faut-il argumenter comme le faisait Alain Berset au printemps 2020 avec un objectif de ralentissement général de l’ensemble des activités sociales ? Le changement est loin d’être trivial. A suivre cette ligne, le certificat devient l’outil qui va ralentir les contacts sociaux. De manière générale, je pense – et j’espère ! – que nous avons acquis suffisamment d’expériences et de données pour entamer une discussion plus circonstanciée sur les différents domaines d’activités (évitant ainsi une réduction générale). De plus, il ne me parait pas légitime d’imposer le certificat de manière préventive et/ou sans base empirique à peu près claire. Accepter cet argument serait en effet accorder un blanc-seing complet à l’utilisation du certificat dans tous les domaines d’activités.

En dernière option, il reste à considérer que le certificat n’est qu’un outil de pression pour encourager à la vaccination. On parle ici d’un “nudge” particulièrement appuyé. Lorsque la vie quotidienne devient de facto impossible, le terme de “nudge” me parait un abus de langage. On peut néanmoins se demander si le certificat est un outil de politique publique qui devrait être utilisé à cette fin (spoiler : je pense que non). A nouveau, cette approche aurait l’avantage de l’honnêteté, une valeur essentielle dans le débat public actuel.

 

 

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