Une Suisse en mouvement

Certificat covid: pour une discussion franche et honnête entre vaccinés 

Les décisions du Conseil fédéral sur la fin de la gratuité des tests individuels dits “de convenance” et l’extension envisagée du certificat covid à la majorité des activités du domaine “orange” (restaurants, cafés, activités culturelles et sportives, visites dans les EMS) relancent de manière dramatique le débat sur le certificat. 

Dans ce contexte, on invective volontiers les non-vaccinés sur la base d’arguments de protection et de solidarité (au demeurant de très bons arguments), mais on parle peu de la contribution que pourrait faire la majorité des vaccinés (environ 56% de la population suisse). Ce texte s’adresse donc en priorité à la majorité des vaccinés. Avec une proposition pour avoir entre nous une discussion franche et honnête.

Une situation personnelle inconfortable

Permettez-moi de commencer par un témoignage personnel: je me sens pris entre deux feux et j’aimerais savoir combien de gens partagent cette impression. Je suis un fervent défenseur du vaccin et de ses apports, mais également un critique face à un certificat covid toujours plus problématique. J’observe que les changements proposés par le Conseil fédéral – avec notamment l’évocation de l’utilisation du certificat dans le cadre professionnel – pourraient rendre peu à peu impossible une vie quotidienne normale aux personnes non-vaccinées. Ajoutez la fin de la gratuité des tests et vous êtes – à mes yeux – de facto très proche d’une obligation de vaccination.

Dans cette situation inconfortable, je me pose la question: outre la vaccination et le respect des gestes barrières, quelle pourrait, quelle devrait être ma contribution en tant que vacciné ? Réponse générale: j’aimerais contribuer à ce que les droits et libertés de chacun soient respectés. Concrètement, j’aimerais faire ma part pour que chacun puisse faire des choix libres, les plus éclairés possibles, notamment sur les questions qui touchent le plus directement aux valeurs et aux convictions. Que chacun puisse choisir entre 20 couleurs de chaussettes ne me parait pas aussi important que le libre choix de convictions religieuses par exemple. Ou la décision de se vacciner.

Protéger le droit de se tromper

Question donc posée à la majorité des vaccinés: quels efforts sommes-nous encore prêts à faire pour qu’une minorité puisse prendre librement une décision que nous estimons fausse, irrationnelle, égoïste – à savoir refuser la vaccination? 

De nombreux amis m’ont demandé: mais pourquoi faudrait-il protéger le droit des gens de faire des choix irrationnels? A mon avis, c’est l’idée même d’une liberté fondamentale qui est en jeu. Pour rappel: la non-obligation de la vaccination repose sur l’importance de l’intégrité corporelle. Cette intégrité comprend la liberté de choisir ce qu’on injecte dans son corps. Ma conviction, c’est que la majorité devrait chercher à défendre ce droit fondamental. A l’inverse des efforts actuels qui visent à imposer le certificat covid dans l’entier du quotidien, avec entre autres objectifs de pousser les gens à la vaccination contre leur gré.

Un argument difficile à accepter

Vous avouerez qu’on a connu plus facile à vendre comme argument: après 18 mois de pandémie, un appel à protéger le droit des non-vaccinés à continuer de refuser toutes les évidences scientifiques disponibles. Pire: demander à la majorité qu’elle investisse des ressources (de l’argent, du temps, de l’énergie) pour permettre à certains de prendre une décision qu’elle abhorre. Et pourtant, ne sommes-nous pas au coeur de la protection que devrait assurer un droit fondamental? Permettez une analogie: le droit de porter une burqa. Je me suis battu pour que certaines femmes aient le droit de la porter, même si je trouve à titre personnel cette décision fausse et irrationnelle.

On me dira que la grande différence porte sur les effets négatifs sur autrui de la décision de refuser la vaccination. Porter une burqa ne fait pas de mal à autrui. 

Faisons un pas en arrière: l’exercice de chacune de mes libertés fondamentales a un impact sur autrui, un impact souvent perçu comme négatif par ceux qui refusent la décision de base. Dans ses grandes lignes, cette situation n’est pas nouvelle. Ainsi porter la burqa serait négatif pour la vie en société et les droits des autres femmes, faire des dessins humoristiques serait contraire au respect, tel mode de vie (fumeur, buveur, sportif, workaholic) serait à interdire car il provoque des coûts massifs pour la collectivité (via le financement solidaire du système de santé). En résumé, exercer nos libertés impacte toujours et systématiquement les autres membres de la société. En argumentant sur l’impact “négatif” des choix d’une minorité sur la majorité, c’est l’idée même des libertés et droits fondamentaux qu’on remet en cause, à savoir protéger le libre choix d’une personne, malgré ses conséquences.

Mais l’impact du refus du vaccin n’est-il pas plus spécifique, plus dangereux ? Il faudrait donc pouvoir montrer que la liberté de choisir ou non la vaccination signifie une mise en danger directe d’autrui. Les non-vaccinés seraient de véritables dangers pour autrui, pas seulement des gens manquant de solidarité. Ce type d’argument m’apparait néanmoins difficile. Ce n’est pas le seul statut vaccinal qui détermine la dangerosité d’une personne, mais l’ensemble de son comportement, par exemple son respect des gestes barrières et de la distanciation. Admettons néanmoins qu’on puisse montrer qu’une personne non-vaccinée est un danger immédiat pour autrui, il découle selon moi un argument pour l’obligation de vaccination. Dans cette hypothèse, la majorité ne peut rien faire, il faut vacciner tout le monde. Mais dans ce cas, nous pouvons complètement évacuer la discussion sur le certificat covid. Et une discussion fondamentalement différente sur notre capacité de vivre en société commence.

Les conséquences pour la majorité

Si la majorité des vaccinés accepte qu’elle a la responsabilité de protéger le droit des non-vaccinés à prendre des décisions irrationnelles, quelles en sont les conséquences ? 

Première conséquence, la majorité devrait être prête à accepter certaines mesures de précaution pénibles et ennuyeuses: porter un masque dans certaines situations (par exemple dans une salle fermée), continuer à appliquer des gestes barrières au quotidien, agir de manière précautionneuse avec les personnes à risques. Collectivement, nous devrions être prêts à investir de l’argent. La mesure phare porte ici sur la gratuité des tests qui permettent d’obtenir un certificat covid. Il ne s’agit pas de payer des tests pour l’éternité. A terme, tout le monde aura été touché par le covid (soit par la vaccination, soit par la maladie). Il faut penser ces tests comme des investissements pour garantir le droit à l’intégrité physique (qui comprend le droit de refuser un vaccin).

Deuxième conséquence: l’Etat doit continuer à assurer une information de qualité sur les risques et bénéfices des différentes options, il doit combattre les fakes news en la matière, ceci afin de permettre à chacun de faire un choix le plus éclairé possible. Si cette condition est remplie, la minorité des non-vaccinés est libre de faire des choix, mais elle porte les conséquences de ceux-ci. Les non-vaccinés font le choix de prendre des risques plus élevés pour eux-mêmes et, suivant leur comportement individuel, pour les autres. Ils doivent à ce titre notamment accepter des quarantaines et des procédures régulières de test. Ils ne peuvent se défausser de leur responsabilité de prolonger la crise. A l’inverse de M. Poggia, je pense néanmoins inacceptable et contre-productif de rendre plus difficile l’accès aux soins (en menaçant de faire payer les non-vaccinés) – sur la base de l’argument évoqué plus haut qui veut que l’exercice de chaque liberté peut conduire à un impact négatif sur un système solidaire (par ex. la santé). 

J’ai bien conscience qu’on marche ici sur un chemin de crête particulièrement abrupte. Pour la majorité des vaccinés, il nous faudra une capacité d’empathie hors du commun. Mais j’aime l’idée de contribuer à ce que l’ensemble des concitoyens puissent continuer à exercer leur liberté fondamentale dans une question qui touche directement leurs convictions profondes. Et je veux croire que cette attitude pourrait apporter un peu de baume à nos relations sociales et politiques à un moment où nous en avons terriblement besoin.

ps. un autre argument pour un certificat covid toujours plus étendu consiste à dire qu’il n’y a qu’une alternative: un lockdown ou le certificat. Cet argument est très différent de celui évoqué ici. J’y reviendrai dans un autre texte.

 

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