Une Suisse en mouvement

Le test d’une Suisse libérale – non à l’initiative d’Egerkingen

Illustration Operation Libero

C’est l’histoire d’un groupe qui n’aimait pas l’islam. D’abord les minarets, et maintenant le niqab. Jusqu’en 2020, le destin de cette nouvelle initiative paraissait clair: un bis repetita de la votation sur les minarets. Mais les initiants du comité d’Egerkingen doivent composer avec deux contre-feux majeurs. D’une part, un important débat de société a lieu sur l’opportunité de cette initiative et la vision de la Suisse qu’elle propage. Les défaites des initiatives UDC ont laissé des traces. D’autre part, l’initiative est votée dans le contexte le plus improbable qui soit. Au moment du dépôt de l’initiative le 15 septembre 2017, qui aurait pu penser que le vote aurait lieu dans une Suisse masquée ? 

Les argumentaires contre l’initiative sont nombreux et solides. En très bref :

Au-delà de cet argumentaire, l’initiative représente un test majeur pour la société libérale. Elle nous pose une question de société fondamentale : sommes-nous prêts à accepter un comportement que nous trouvons étrange, incompréhensible, choquant ? A cette question, il faut dire oui. La tâche est tout sauf simple, il faut se faire violence pour accepter une altérité aussi profonde. Cette attitude respectueuse des convictions des uns et des autres s’entraîne. Notre muscle “libéral”  peut se renforcer à force d’entraînements. Pour ce faire, chacun d’entre nous doit puiser dans ces situations où il fait l’expérience d’un minoritaire et où une majorité peut être tentée d’imposer ses choix. Que chacun se pose honnêtement la question suivante : si j’étais une femme de confession musulmane qui souhaitait montrer sa piété de la manière la plus totale, voudrais-je que la majorité m’interdise de porter un niqab ?  

Ce test de libéralisme grandeur nature se déroule car le comité d’Egerkingen fait souffler un vent mauvais. Après avoir réussi à inscrire une discrimination crasse dans la Constitution (l’interdiction des minarets), le comité reprend son objectif : créer un « nous » et un « eux ». La recette est vieille comme le monde : le « nous » doit créer un “ennemi commun” pour se rassurer sur son identité de groupe. Nous sommes « nous », car nous n’acceptons pas ce « eux » si différent. 

Et pourtant, il y a une autre narration possible : ce « nous » se définit par la défense des libertés fondamentales. Nous sommes ce « nous » car nous sommes libres et nous respectons cette liberté. Notre grandeur se mesure à notre capacité d’accepter les autres résidents dans leurs différences, et à construire ensemble une société meilleure. 

En choisissant de raconter une Suisse où la liberté et l’égalité sont les valeurs essentielles, nous pourrons contrecarrer le projet destructeur du comité d’Egerkingen. En vue du vote du 7 mars, nous sommes mis au défi de la confiance. A titre individuel et en tant que société, sommes-nous suffisamment en confiance pour accepter le choix étrange de quelques personnes ? Avons-nous les ressources pour nous adonner à la critique sans tomber dans la tentation de l’interdiction ? Il le faut pour que la Suisse reste en accord avec ses valeurs de liberté et d’égalité.

Johan Rochel

Illustration Operation Libero

 

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