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Eglises-Etat : l’inacceptable convention valaisanne

Photo officielle sur site vs.ch

En pleine campagne pour sauver 3 sièges PDC au Conseil d’Etat, Christophe Darbellay présente une convention signée avec l’Eglise catholique et l’Eglise réformée. Son titre : « convention concernant la collaboration entre l’école valaisanne et les églises reconnues ». Dans ce petit texte, j’aimerais tenter d’expliquer pourquoi cette convention est philosophiquement catastrophique et politiquement très dangereuse.

Il semble que le texte soit difficile à trouver en ligne – le site internet officiel du canton ne mentionne que le communiqué de presse. Je me permets donc de le rendre disponible ici, dans une version où j’ai noté en commentaire les questions les plus importantes que soulève ce texte.

Philosophiquement catastrophique

Avant de questionner le contenu de la convention, j’aimerais être transparent sur mes convictions. Un Etat démocratique et libéral est organisé sur le principe que tous les citoyen-nes sont d’égale valeur. Aux yeux de l’Etat, personne n’est plus important que son voisin. C’est l’égalité devant la loi, mais également dans la loi. C’est particulièrement vrai pour les questions de convictions religieuses, philosophiques, éthiques. L’Etat doit se tenir en retrait et ne pas favoriser certaines croyances. S’il le fait, alors il privilégie certains citoyen-nes et leurs associations respectives.

Dans les missions de l’Etat, l’école a une place particulière : elle forme les futur-es citoyen-nes. Elle est le lieu où la liberté s’apprend et s’exerce, tant par le savoir qu’elle transmet que par les échanges qu’elle rend possible.

Les présentations étant faites, je compare avec la Convention :

Etat démocratique et libéral Convention
Toutes les personnes sont d’égale valeur aux yeux de l’Etat. Les personnes de confession chrétienne (catholique et protestante) sont plus importantes que les autres.
Pour assurer une égalité de traitement, l’Etat se tient le plus possible en retrait des questions de choix religieux, philosophiques, éthiques. L’Etat prend position sur les questions de choix religieux, philosophiques, éthiques. Il déclare que 2 Eglises/courants religieux sont meilleures que les autres.
L’Etat ne favorise aucune association et les intègre toutes sur un pied d’égalité dans ses réflexions et projets. Les Eglises dites « officielles » ont un statut extrêmement privilégié, qui leur permet notamment de passer ce genre de conventions sur un pied d’égalité avec l’Etat. Ces Eglises semblent être hors société civile, elles ont une catégorie de traitement spécifique (préambule de la convention). Les autres communautés religieuses ne sont pas considérées.
De toutes les tâches de l’Etat, l’enseignement est l’une des plus sensibles. L’école publique est gratuite et obligatoire. La demande de neutralité confessionnelle est particulièrement forte pour l’école. L’école publique signe des conventions de collaboration avec deux Eglises. . Celles-ci collaborent « en vue de la réalisation des objectifs éducatifs de l’Ecole valaisanne » (art. 3 convention)
L’école est le lieu de la formation à la citoyenneté. En plus des connaissances de base, elle transmet les compétences nécessaires à la vie en société. L’école poursuit des fins culturelles et vise à la formation intégrale, incluant les dimensions religieuse et spirituelle (art. 3 et 4 convention). L’école affirme ses valeurs judéo-chrétienne (art. 6). En ne reconnaissant aucune dispense pour les cours donnés par des représentant-es des Eglises (cours d’ «éthique et de cultures religieuses»), la convention institutionnalise une forme de prosélytisme au sein même de l’école publique.
Les convictions religieuses, philosophiques, éthiques des enseignant-es doivent se mettre le plus possible en retrait pour transmettre un contenu objectif, surtout chez les plus jeunes. Leur professionnalisme est attesté par une formation pédagogique officielle. Des enseignant-es choisies par les Eglises donnent un enseignement obligatoire dans le cadre de l’école publique. Selon certains arrangements, l’Etat va même payer ces enseignant-es. La question de leur formation n’est pas claire (« titres requis ») (art. 6). Une formation pédagogique similaire à l’enseignant-e ne semble pas nécessaire.
La détermination du contenu des cours est une mission cruciale de l’école publique. Si l’école consulte des spécialistes, elle le fait sur une base scientifique. Les Eglises sont consultées sur le contenu des cours d’éthique et de cultures religieuse.


En bref, la convention signée par le Conseiller d’Etat Darbellay ne respecte aucun des principes fondamentaux de l’Etat démocratique et libéral. De plus, elle est marquée par des contradictions internes insurmontables. Que les lecteurs tentent de lire l’article 6 de la convention et d’en tirer une position cohérente.
 De manière générale, difficile d’en vouloir aux Eglises de jouer leur carte à fond et d’obtenir le maximum – mais où est le contrôle politique ? Où sont les droits fondamentaux des élèves et des parents ?

Politiquement très dangereux

Le contenu de la convention est catastrophique, mais son timing politique l’est également. Le Valais est spécialiste de ce genre de conventions. La dernière, signée en 2015 par O. Freysinger, était encore plus problématique à bien des égards. Les plus optimistes y verront donc une amélioration. Pour tous les autres, c’est le moment d’agir.

La version de 2021 est rendue publique en pleine campagne au Conseil d’Etat, alors que Roberto Schmidt déclare dans le Nouvelliste que son « objectif principal, c’est de faire élire 3 PDC ». Mais encore plus problématique, cela intervient durant la consultation publique sur les principes de la nouvelle Constitution. Le sujet est au programme de cette consultation. De ce coté-là, on se rappellera avec intérêt le vote des constituant-es sur la question de la neutralité confessionnelle de l’école (proposée par le groupe VLR, refusée par la majorité PDC/UDC). Les votes personnels sont à découvrir ici, fort intéressant alors que bon nombre de Constituant-es se présentent comme candidat-es au Grand-Conseil.

Quelques leçons politiques à mon avis pertinentes (sans prétention à l’exhaustivité) :

Que faire ?

Une voie alternative serait pourtant toute tracée. Il n’y a pas besoin de basculer dans un système à la française, mais simplement d’inscrire au programme des vrais cours d’histoire des religions et/ou d’éthique, donnés par des professionel-les qualifié-es de l’instruction publique, sans aucun rôle joué par les Eglises dans la détermination du contenu et de la personne enseignante. Le cours d’histoire des religions est un cours spécifique du cours d’histoire, le cours d’éthique est un cours spécifique du cours de philosophie. Le minimum, en gros.

Les personnes résidentes en Valais qui sont choquées par cette convention devraient prendre leur plume ou leur clavier et écrire à la Constituante pour signifier leur volonté d’avoir un Etat, tout particulièrement une école publique, qui se met beaucoup plus clairement à distance des Eglises. Voici comment le faire (https://www.vs.ch/valaisdemain).

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