La rentrée automnale semble inspirer la société civile sur la question de la politique d’immigration et, plus largement, sur nos relations avec l’Union européenne. Alors que la majorité des représentants politiques usent de formules obscures, confinant souvent à l’incantation rituelle sur une supposée « solution » (miracle), la société civile bruisse de mille projets et initiatives. Afin de permettre une discussion axée sur la recherche des meilleures solutions, il est devenu essentiel d’avoir une vue d’ensemble des projets en cours en Suisse romande et en Suisse alémanique (voir ci-dessous les principaux projets rendus publics). Mis côte à côte pour la première fois, ces projets laissent apparaître d’intéressants éléments d’analyse.
Premièrement, les différentes initiatives issues de la société civile semblent toutes partager une analyse pour le moins pessimiste quant à l’équation « respect du choix démocratique du 9 février <=> sauvegarde de l’accord de libre circulation des personnes avec l’UE ». Le constat du « cul-de-sac » l’emporte partout et les différents groupements évoquent volontiers une quadrature du cercle. Les professeurs de droit européen qui prennent position sur cette question – à l’exemple du Prof. Thomas Cottier de Berne ou de la Prof. Christa Tobler de Bâle – considèrent eux-aussi que la Suisse se dirige à grande vitesse vers une violation du traité avec l’UE ou vers le non-respect du choix populaire exprimé le 9 février.
Deuxièmement, les différents projets déduisent de ce constat la nécessité d’une nouvelle votation populaire. Ce rappel aux urnes déboucherait sur l’une de ces situations « win-win » tant appréciées en politique. Il permettrait d’une part de confirmer le choix des citoyens et de l’exprimer cette fois-ci avec toute la clarté nécessaire pour que le Conseil fédéral et le Parlement agissent en conséquence (« souhaitez-vous conserver l’accord de libre circulation des personnes ? »). D’autre part, une nouvelle décision permettrait de préciser les conséquences que le peuple est prêt à accepter (« souhaitez-vous relativiser le choix du 9 février pour le rendre compatible avec l’accord de libre circulation ? »). Dans les deux variantes, un nouveau vote offrirait la possibilité de sortir, au moins du point de vue de politique intérieure, du climat d’insécurité qui règne actuellement. Effet collatéral non-désagréable, il mettrait en avant l’idée de « démocratie de conséquences ». Nos choix de citoyens ont des implications dont nous portons la responsabilité. Si ces conséquences sont balayées par les Parlementaires ou le Conseil fédéral, alors l’exercice démocratique devient une vaste fumisterie.
Troisièmement, les propositions d’initiatives politiques sont accompagnées et secondées par des « appels» et « manifestes » élaborés par des groupes de personnalités publiques. Ils visent à reposer la discussion européenne en Suisse sur une base à la fois plus solide et plus pragmatique. A ce titre, ils rappellent les fondements des relations Suisse-UE en termes de valeurs, d’histoire et d’intérêts. Ce travail intellectuel est d’ailleurs marqué par le « retour » sur le devant de la scène politique de certains historiens, à l’exemple de la sortie en allemand du livre de Joëlle Kuntz sur l’art de la dépendance ou la nouvelle parution du Prof. Hollenstein « Mitten in Europa : Verflechtung und Abgrenzung in der Schweizer Geschichte ». Plus ou moins volontairement, les historiens se retrouvent partie prenante d’un débat qui voit s’affronter plusieurs lectures de l’histoire suisse dans et par l’Europe. A coup sûr, ils joueront dans les débats politiques à venir un rôle crucial.
S’ils partagent ces points communs, les différentes initiatives et projets défendent des positions différentes sur l’opportunité de lier le dossier migratoire avec le dossier européen. D’après les informations en provenance de Bruxelles, les négociations sur les « questions institutionnelles » sont bien avancées et un résultat se dessine à l’horizon des prochains mois. Le débat suisse sur la question s’annonce extrêmement émotionnel. D’un point de vue tactique, il faut dès lors certainement renoncer à une votation mettant en jeu le destin européen de la Suisse (migration + questions institutionnelles + article sur les valeurs communes).
Comment poursuivre le débat ? La société civile doit chercher à coordonner ses actions et ses projets. Il ne sera certainement pas facile de construire un projet commun avec une telle diversité d’acteurs. Et pourtant, face à un contre-mouvement bien organisé, fortement doté sur le plan financier, seul un front commun peut espérer regagner l’initiative. En plus de se faire concurrence sur le marché très disputé de l’attention politique et de mobiliser des précieuses ressources financières et humaines, des petits projets épars n’ont aucune chance de créer une majorité. Une fois cet effort de coordination réalisé, la société civile doit ensuite renforcer ses liens avec les élus fédéraux. Il faut à tout prix parvenir à faire cesser l’omerta qui règne sur la question européenne en soutenant les quelques élus encore prêts à en débattre de manière constructive. Alors que les préparatifs pour 2015 vont bon train dans les partis, l’Europe – à la fois l’UE et le Conseil de l’Europe – doit redevenir un thème essentiel pour une Suisse ouverte, libérale et prospère.
Johan Rochel
Projets d’initiatives populaires
1. « Raus aus der Sackgasse » ("Sortir de l’impasse")
Texte d’initiative : l’Art. 121a et ses dispositions transitoires sont abrogés.
Le comité d’initiative note que le choix du 9 février ouvre des fossés et risque de diviser pour des années les cantons, les régions, les branches professionnelles et les partenaires sociaux. De plus, il remet fondamentalement en question la voie bilatérale et crée une insécurité juridique insupportable pour l’économie et toutes les personnes concernées.
2. « Article Europe 2016 » (proposée sous forme d’initiative parlementaire)
Présentation du projet dans la NZZ et dans le Temps
Texte d’initiative (traduction inédite par le soussigné)
1. La Confédération suisse participe au processus d’intégration européenne. Elle reconnaît et soutient les valeurs fondamentales de paix, de liberté et de prospérité ancrées dans les traités du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne.
2. Afin de renforcer l’économie suisse, sa compétitivité et de contribuer à un développement durable, la Suisse s’efforce de développer une participation approfondie au marché unique de l’UE et dans d’autres domaines politiques.
3. Dans le cadre des traités existants, la Confédération et les cantons prennent en compte les besoins de la population résidente, notamment dans les domaines du transport, du travail, de l’éducation, de la planification du territoire, du partenariat social et de la sécurité sociale.
Les articles 121a et 197 (9) de la Constitution fédérale sont abrogés.
Choix parmi les autres projets rendus publics
1. Plan stratégique du NOMES pour 2014-2015
Pour éviter l'isolement complet de la Suisse, "un nouveau vote doit être envisagé, qui permette d'éliminer les attaques contre la libre circulation des personnes figurant dans l'article constitutionnel adopté le 9 février 2014. Cette démarche est la seule susceptible de garantir la survie d'accords bilatéraux aujourd'hui menacés".
2. Die Schweiz in Europa: Aufruf besorgter Bürgerinnen und Bürger
Document de réflexion présentant entre autres 4 raisons de défendre un dialogue européen constructif: l’histoire commune entre la Suisse et l’UE, les valeurs communes, l’interdépendance, la pertinence de l’Europe dans le monde.
Auteurs du papier de réflexion : Thomas Cottier, Alexandre de Senarclens, Peter-Max Gutzwiller, René Jost, Eric Kistler, Giusep Nay, Gilles Petitpierre, Remigio Ratti, Jean-Pierre Roth, Friedrich Sauerländer, Benedikt von Tscharner, Luzius Wasescha, Jean Zwahlen.
Mouvement pour la promotion de la Suisse de demain : prospère, innovante, ouverte, respectueuse de l’Etat de droit, prête à garantir l'égalité des chances. Le manifeste intitulé "Nous les descendants de 1948" dans le journal Die Zeit.
4. Mobilisation des scientifiques autour du Prof. Adriano Aguzzi
Après une tribune parue dans la BAZ sous le titre « L’isolation met en danger la place scientifique Suisse », un mouvement issu des milieux de la recherche est en phase de se former pour défendre l'excellence de la Suisse.