Depuis le 18 juin 2014, la Suisse compte un nouveau parti politique : UP, pour Unabhängigkeitspartei, ou parti de l’indépendance. Créé par l’ancienne présidente des jeunes PLR suisses Brenda Mäder, UP témoigne des errements d’une valeur qu’on érige en absolu. A sa manière, ce nouveau parti à l’ambition nationale – qui le différencie des éclosions politiques communales ou cantonales – raconte également les tensions internes du PLR. Comme un nouvel élève arrivé en cours d’année, UP vient ainsi s’intégrer dans la série des Verts-Libéraux, des pertes de membres à destination de l’UDC et des protestations d’une aile libérale-humaniste.
S’il est pour l’heure seulement présent dans le canton de Zurich et de Thurgovie, le nouveau venu mérite à plus d’un titre d’être mis en lumière. UP inaugure en effet une ligne politique pour l’heure presque inconnue en Suisse. Voici venir un parti à la ligne libertaire, prônant un Etat plus que minimal, des impôts « volontaires », une légalisation de toutes les drogues et une politique d’immigration ouverte. Du primat absolu de la valeur liberté découlent les (quelques) justifications acceptables de l’action étatique.
En tant que mouvement critique, UP a le mérite de jeter une lumière crue sur le « pourquoi » de l’Etat et sa pertinence pour la vie en société. Les arguments avancés pèsent de bonnes questions sur l’obligation du service militaire, la légalisation du cannabis ou encore le suicide assisté. Dans la morose ambiance post 9 février, UP rappelle également à juste titre la cohérence et la nécessité d’une politique d’immigration ouverte. Les positions extrêmes forcent les autres partis politiques à affiner leurs positions et à réaffirmer leurs valeurs propres à l’aune de l’importance clef accordée à la liberté.
En tant que forces de propositions crédibles, les mouvances libertaires où s’inscrit le mouvement UP souffrent d’un double déficit. Le premier déficit se trouve dans l’absolutisation de la valeur liberté. La liberté peut être une valeur fondamentale, elle n’est jamais la seule valeur qui guide l’organisation de la vie en société. Accepter une diversité de valeurs pertinentes permet de rendre compte de la complexité de nos choix de société et de leurs conséquences pour chacun d’entre nous. La discussion que les plus grands penseurs mènent depuis des siècles autour des grands « duos » conceptuels – liberté/sécurité, liberté/égalité, liberté/solidarité – ne relève pas de l’incapacité ou de la mauvaise volonté. Ils reflètent la nécessité d’accommoder différentes valeurs pour penser et mettre en place un cadre de vie capable de rendre justice à chacun.
Le deuxième déficit touche à la vision de l’Etat et du cadre légal. Le slogan que l’on prête au PLR des années 1970 traduit la posture idéologique que le nouveau parti entend pousser aux extrêmes : « Plus de liberté, moins d’Etat ». L’Etat est présenté comme l’ennemi de la liberté. Le slogan semble promettre que diminuer l’influence de l’Etat, c’est augmenter la liberté des individus. Cette opposition repose sur un malentendu fondamental. Dans une société où des individus profondément différents cohabitent et coopèrent, le cadre juridique doit être vu comme une condition de la liberté. Partir de l’idée d’une liberté infinie – sans contrainte aucune – relève d’une fausse vision. Dans une société dénuée de lois, il n’y a pas de liberté au sens où nous l’entendons. Il y a certes une absence de contraintes exercées par un Etat, mais une impossibilité de se dire libre face aux multiples dangers, menaces et incertitudes qui pèsent sur moi. Comme l’a formulé le philosophe anglais Thomas Hobbes (1588-1679), théoricien du Léviathan, cette situation pousserait chacun à prendre des mesures préventives contre à son voisin. La situation déboucherait sur une véritable lutte de tous contre tous.
L’Etat rend possible la liberté au sein d’un groupe. Cette distinction est centrale car elle permet de montrer que la valeur de liberté se trouve des deux côtés de l’équation qu’on veut nous présenter comme étant simpliste. La défense de la liberté de certains se fait parfois au prix de la liberté des autres, à l’exemple de l’Etat social. En empêchant les plus pauvres de tomber dans le dénuement le plus total, notre Etat social préserve leur liberté, même s’il doit pour se faire lever des impôts. Un cadre conceptuel trop binaire ne permet pas de rendre compte de cette équation entre liberté et liberté.
UP traduit-il un mouvement de fond qui touche maintenant la Suisse? Le tea and fondue party débarque-t-il chez les Helvètes ? Combien sont-ils au centre-droit à souhaiter affirmer le primat absolu de la liberté, quitte à remettre en question certains piliers de l’Etat social ? Du côté du PLR, le mouvement pourrait attirer les jeunesses et certains promoteurs d’un retour à un discours clair et marqué. A ce titre, la première revendication d’UP consiste à exiger l’abolition de Billag. L’illusion de la simplicité la dispute a un populisme de bas étage. Du côté de l’UDC, la mouvance libertaire pourrait attirer une aile économique qui commence à craindre les effets négatifs d’un nationalisme qui passe gentiment du discours à la réalité. Combe de l’ironie, le plaidoyer pour une politique migratoire ouverte pourrait sonner juste auprès des patrons de PME et ramener certaines brebis égarées de l’économie de marché dans le giron d’un parti de l’ouverture.
