La fabrique du corps humain

Politique migratoire : le traumatisme de trop

Alireza avait 18 ans. Il avait fui l’Afghanistan et l’Iran. Il avait survécu à de terribles violences en Grèce. C’est finalement la politique d’asile menée par la Suisse qui a eu raison de sa volonté de vivre. Le 30 novembre dernier, quelques jours après avoir reçu la confirmation de son renvoi en Grèce par le Tribunal Administratif Fédéral (TAF), Alireza s’est jeté dans les eaux glacées du Rhône.

Le traumatisme de trop

Le jeune migrant souffrait d’un état de stress post-traumatique, un trouble mental qui touche de nombreux demandeurs d’asile. Ces derniers ont fui la guerre ou la famine, les persécutions religieuses, sociétales ou politiques. Durant le parcours migratoire, la plupart ont été confrontés à la violence et certains ont assisté au meurtre ou au décès tragique de compagnons d’infortune. Des scènes qui pour certain resteront gravées à vie et qui hanteront leur sommeil. Savent-ils qu’un autre périple potentiellement traumatique les attend une fois arrivés en Suisse ?

Ils ont été en prison et se retrouvent derrière des fils de fer barbelés. Ils ont fui le service militaire obligatoire et sont logés dans des casernes. Ils ont été torturés et subissent des entretiens très confrontant de plusieurs heures en compagnie d’inconnus. Ils ont subi les décisions arbitraires de gouvernements corrompus et une administration démocratique leur adresse une décision de renvoi incompréhensible qui est pour eux comme une condamnation à mort. Pour ces êtres humains comme pour Alireza, notre politique d’asile répressive et dissuasive agit parfois comme le traumatisme de trop.

Le traumatisme, la tache aveugle de la politique migratoire

Bien que très prévalent parmi la population migrante, le vécu de violence passe fréquemment inaperçu. Car le traumatisme ne s’exprime souvent pas par des mots, mais à travers des symptômes, des cauchemars, des hallucinations, des angoisses et parfois des conduites addictives et automutilatoires. Une symptomatologie très lourde qui peut cependant s’amender transitoirement quand les stimuli confrontant du passé sont mis à distance. Cela peut donner aux autorités fédérales la fausse image de bonne santé ou faire planer le doute d’une simulation. Dans le cas d’Alireza, sa bonne intégration, sa motivation, son investissement dans les études ont peut-être joué contre lui. C’est de toute évidence pour cette raison que le TAF a estimé qu’il ne remplissait pas les « considérations humanitaires impérieuses » qui auraient justifié une décision d’annuler son renvoi.

Le médecin, grain de sable dans la politique de l’asile suisse

Une douloureuse question demeure : pourquoi les juges ont-ils ignoré le rapport médical alarmant des médecins informant de la vulnérabilité de ce patient et des risques de passage à l’acte ? Dans d’autres domaines, comme les assurances sociales, le monde professionnel, la justice civile et pénale et même l’armée, les certificats des professionnels de la santé sont la plupart du temps considérés sérieusement.

Face au micro de la RTS, la porte-parole du Secrétariat d’État aux Migrations (SEM) a indiqué que le risque suicidaire n’infléchissait en général pas les décisions, sans quoi aucun renvoi ne pourrait être effectué. Un argument glaçant démontrant que les motivations du SEM sont d’ordre politique : exécuter les renvois, de manière anonyme, en tenant à distance la souffrance et cachant leur responsabilité derrière la froideur des chiffres, des statistiques et des lois. Et c’est sans doute pour cela que l’administration de l’asile reste aussi allergique au travail des médecins. Ces derniers sont les témoins des conséquences de la politique d’asile répressive. Ils donnent un nom et un visage aux victimes. Leur éthique médicale et leurs valeurs humanistes sont des remèdes à l’indifférence et à la déshumanisation.

Alors que nous savons depuis le 20e siècle que les pires atrocités sont parfois commises dans l’obéissance aveugle et le respect des règles, il est salutaire d’écouter les grains de sable que sont les médecins, les soignants et toutes les personnes qui accompagnent les demandeurs d’asile.

 

***

Les informations factuelles de cet article ont été reprises dans les articles des journaux Le Temps, Le Courrier et la RTS. Les réflexions développées ici doivent beaucoup au colloque récemment organisé par l’association Médecin Action Santé Migrant·es à Lausanne.

Quitter la version mobile