« Fonder une nouvelle entreprise ? Pourquoi pas ! » affirme le jeune retraité sur la publicité d’un célèbre revendeur de vitamines. Amateur de ski de randonnée et épicurien, l’homme se décrit avant tout comme entrepreneur. Comme chaque publicité de la campagne, l’affiche conclut par « ça fait du bien ».
Cette publicité laisse entendre que 1) les vitamines font du bien, 2) fonder une entreprise est un des marqueurs ultimes de bonne santé. Dans un pays aussi libéral que la Suisse, où l’innovation et l’entreprise sont élevées en valeur cardinale de société, cela semble aller de soi. Sauf que le moment est peut-être mal choisi pour ce genre message, quand on sait que la pandémie a mis à mal de nombreux petit·es indépendant·es
Les vitamines : un commerce juteux.
Il n’empêche que les vitamines, ça fait du bien aux entreprises qui les commercialisent. On estime qu’entre 30 à 50% de la population suisse consomme des vitamines ou des compléments alimentaires[i], ce qui génère un marché juteux, difficilement quantifiable.
On a longtemps pensé que les omégas trois protégeaient des maladies cardiovasculaires, que la vitamine D prévenait certains cancers (et plus récemment contre le Covid-19), que la vitamine C luttait contre les refroidissements. A ce jour, aucune étude n’a pu démontrer de manière convaincante un véritable effet positif de ces vitamines en prévention primaire (prévention parmi la population saine). Des articles documentent par contre des cas d’effets nocifs voir létaux de compléments alimentaires pris en trop grande quantité ou sans contrôle médical.
A ceux qui ont, on donnera encore plus.
Le profil principal des adeptes de vitamine est celui de personnes sportives, soucieux de leur santé et se nourrissant de manière équilibrée. Autrement dit, les personnes à qui les vitamines profitent le moins[ii].
Il existe par contre plusieurs catégories de personnes qui sont à risque de développer des carences aux conséquences potentiellement sérieuses. Certaines sont bien identifiées et traitées, comme par exemple les femmes enceintes. D’autres posent encore un certain nombre de défis, comme les personnes souffrant de maladies chroniques ou les personnes présentant une dépendance à l’alcool. Ces dernières sont très exposées à un déficit en vitamine B1, la thiamine, qui peut conduire à l’encéphalopathie de Wernicke ou au syndrome de Korsakoff, une démence caractérisée par des troubles de mémoire très importants. La difficulté à distinguer les signes cliniques, confondus souvent avec une alcoolisation aiguë, de même que la stigmatisation dont ces patient·es sont victimes dans les services d’urgence sont des barrières à une prise en charge adéquate.
Pour les entrepreneurs burkinabés de demain ?
En 2012, je me suis rendu au Burkina Faso pour un stage de fin d’études dans un dispensaire de pédiatrie. Des membres d’une association m’avaient demandé d’emmener deux valises entières remplies de vitamines achetées en grande surface. Elles allaient servir de complément alimentaire aux nombreux enfants dénutris qui étaient traités là-bas. Certains souffraient de kwashiorkor, un syndrome gravissime, souvent létal. Nul doute que les vitamines leur ont été utiles. De là à en faire des entrepreneurs en puissance…
Pour conclure, les vitamines illustrent parfaitement la si douce parabole des évangiles : « On donnera à celui qui a, mais à celui qui n’a pas, on ôtera même ce qu’il a ». Comme notre système économique ?
[i] https://www.blv.admin.ch/blv/fr/home/dokumentation/nsb-news-list.msg-id-66016.html
[ii] Marques-Vidal P, Pécoud A, Hayoz D, Paccaud F, Mooser V, Waeber G, Vollenweider P. Prevalence and characteristics of vitamin or dietary supplement users in Lausanne, Switzerland: the CoLaus study. Eur J Clin Nutr. 2009 Feb;63(2):273-81. doi: 10.1038/sj.ejcn.1602932. Epub 2007 Oct 17. PMID: 17940542.
Photo : “Large vitamin pills and tablets” by hitthatswitch is licensed under CC BY-NC-SA 2.0
