La fabrique du corps humain

La vaccination à l’épreuve de la responsabilité individuelle

Avec une couverture vaccinale de seulement 50%, nous voici sur les rails d’une quatrième vague. Ce constat est d’autant plus frustrant que, contrairement à l’automne passé, nous possédons un moyen d’enrayer l’épidémie. Dans cet article, je soutiens que cet échec n’est pas dû aux thèses complotistes ou antivax, ni au prétendu égoïsme d’une partie de la population, mais à un discours politique centré sur la responsabilité individuelle plutôt que collective. Il est parlant que ce soit au sein du Parti Libéral-Radical (PLR), ardent défenseur des valeurs individualistes, qu’a surgi un malaise autour du refus d’un élu de se faire vacciner.

La vaccination où elle en est

Les questionnements autour de la vaccination sont légitimes. Aucune intervention médicale n’est sûre et efficace à 100%. La prise d’un antidouleur après une blessure sportive peut conduire à une réaction anaphylactique potentiellement fatale. Chaque prescription médicale s’accompagne d’un calcul de risques et de bénéfices. Pour la vaccination, la balance penche fortement du côté des bénéfices. Études après études, les données s’accumulent : la vaccination est efficace pour prévenir les formes graves de la maladie et pour diminuer la propagation du virus [i]. Malheureusement, la couverture vaccinale de notre pays, actuellement à 50 %, est insuffisante et plusieurs modèles expérimentaux prédisent une nouvelle vague pour cet automne [ii]. Selon un récent sondage de la SSR, seuls 25 % de la population s’oppose à la vaccination [iii], ce qui fait que nous avons une certaine marge pour convaincre les indécis·es et atteindre une couverture vaccinale suffisante. Reste à savoir comment les convaincre.

Libéralisme et vaccination

Conseiller d’État valaisan, le libéral-radical Frédéric Favre a récemment été au centre d’une polémique après avoir défendu son choix de ne pas se faire vacciner. Certain·es y ont vu un manquement au devoir d’exemplarité, d’autres ont critiqué ses propos laissant entendre que les choix de se faire vacciner ou non étaient équivalents. Le malaise a même touché son propre parti, ce qui parait étonnant quand on connait la valeur de la liberté et de la responsabilité individuelle au sein du PLR. Dans la tradition libérale, l’individu est un être rationnel qui prend des décisions en fonction de ses intérêts égoïstes. Les intérêts épars, parfois opposés, des individus sont ensuite arrangés par la « main invisible » – aujourd’hui le libre marché – pour concourir au bien de tous. Cette liberté a toutefois une contrepartie : c’est la responsabilité individuelle, une responsabilité que l’individu assume envers la communauté. Pour les libéraux, cette responsabilité ne saurait toutefois être dictée par une majorité ou une quelconque idée de bien-être général.

Dans une chronique parue dans ce journal il y a quelques années [iv], le PLR Philippe Nantermod, qui s’est montré critique avec la déclaration de Frédéric Favre, écrivait avec la philosophe Ayn Rand « qu’il serait moral pour un individu de chercher son propre bonheur, tandis que le bien commun ne justifierait aucun sacrifice personnel ». C’était en 2017, en réponse à une opinion du prix Nobel de chimie, Jacques Dubochet, qui associait l’intelligence à la gauche et l’égoïsme à la droite. Quatre ans plus tard, nous faisons face à une pandémie mondiale, et les valeurs individualistes qui fondent notre société semblent totalement en décalage par rapport à cet enjeu.

Les limites de la responsabilité individuelle

Car il y a un aspect qui n’a été abordé ni par l’élu, ni par la plupart des critiques, c’est l’enjeu collectif à la vaccination. En refusant de se faire vacciner, Frédéric Favre risque de contaminer des personnes vulnérables ou qui ne peuvent pas bénéficier des effets positifs de la vaccination (par exemple en raison d’un système immunitaire défaillant). Il risque également d’être vecteur de la propagation d’une prochaine vague, avec les conséquences négatives que l’on connait, conséquences qui toucheront toute la population.

Cet exemple illustre bien les limites de la responsabilité individuelle. La vaccination n’est pleinement efficace que si suffisamment de personnes décident de se faire vacciner quand bien même elles en tirent un bénéfice relativement faible. Ou, pour le dire autrement, si les individus pensent à la collectivité avant de penser à eux-même. Mais comment blâmer les indécis·es, dans un pays qui érige la concurrence de tous contre tous en modèle de société et qui soumet les valeurs collectives à la liberté individuelle ? Comment faire passer un message de responsabilité individuelle, alors que, durant la pandémie, des propriétaires se sont montrés intraitables avec des gérant·es d’établissements publics, alors que des entreprises ayant demandé l’aide de l’état ont versé de généreux dividendes à leurs actionnaires ? La responsabilité individuelle, quand elle ne s’accompagne pas d’une solidarité effective, devient une justification béate de la liberté de quelques-uns.

Que faire ?

Entre l’autoritarisme français du pourtant très libéral Emmanuel Macron et les limites d’une approche suisse basée sur la responsabilité individuelle, il existe une troisième voie : mettre la solidarité et la responsabilité collective au cœur des débats ; aller à la rencontre des indécis·es, écouter leurs questions et leurs doutes, leur présenter les bénéfices de la vaccination, tout en acceptant sans juger la décision de celles et ceux qui refusent. Ce n’est pas en clivant la société entre les adeptes et les opposant·es à la vaccination que nous viendrons à bout de la pandémie. Ce n’est pas non plus en y allant chacun pour soi, n’en déplaise à certains politiciens.

 

[i] Thompson MG, et al. Prevention and attenuation of Covid-19 with the BNT162b2 and ARNm-1273 vaccines. N Engl J Med 2021; 385:320-329 DOI: 10.1056/NEJMoa2107058

[ii] Paolo Bosetti, Cécile Tran Kiem, Alessio Andronico, Vittoria Colizza, Yazdan Yazdanpanah, et al.. Epidemiology and control of SARS-CoV-2 epidemics in partially vaccinated populations: a modeling study applied to France. 2021.

[iii] https://www.rts.ch/info/suisse/12333960-bien-que-divisee-sur-le-vaccin-la-suisse-retrouve-le-moral-selon-un-sondage-ssr-sur-le-covid.html

[iv] https://www.letemps.ch/opinions/vertus-legoisme-vie-politique

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