Piqûres de rappel

Devoir de mémoire plus nécessaire que jamais

Il y a une vingtaine d’années, le chancelier allemand Gerhard Schroeder avait affirmé que les jeunes générations ne sauraient être coupables des crimes commis par leurs grands-parents. Par contre, elles demeuraient éternellement responsables que de telles horreurs ne se reproduisent plus.

Aujourd’hui, cet appel à la vigilance demeure plus pertinent que jamais avec la disparition des derniers témoins directs des drames qui ont secoué notre planète le siècle dernier. Qui restera-t-il pour raconter à la première personne les déportations aux camps de la mort ou au goulag, les atrocités commises contre les populations civiles, la férocité des combats, le quotidien sous les bombes, ou, plus près de chez nous, moins dramatiques mais pas anodines, les années de privations endurées pendant la guerre ? Combien de trésors mémoriels, d’anecdotes dramatiques ou plus légères sont-ils en train de se perdre ?

” Oublier les morts, c’est les tuer une deuxième fois “

Georges Haldas, écrivait : “Oublier les morts, c’est les tuer une deuxième fois.” Ne souhaitant pas me faire accuser de matricide, j’ai décidé pour ma part de coucher sur papier les souvenirs racontés par ma mère sur la période fasciste qu’elle a vécue en Italie. Ils ont été publiés récemment[1] sous forme de roman épistolaire. J’ai été touché par les réactions de lecteurs qui m’ont fait part d’anecdotes qui se racontaient dans leur famille ou de correspondances découvertes après le décès d’un parent. Tous ces souvenirs ont un point commun, celui d’enfants devenus rapidement adultes par la force des choses, à qui on apprenait à faire attention aux paroles prononcées en public, à ne rien jeter et à tout conserver, à qui l’on expliquait comment se protéger d’attaques venues du ciel, bref à survivre dans un monde inhospitalier.

J’encourage vivement tous les lecteurs dépositaires de telles histoires entendues des parents ou des grands-parents à laisser une trace écrite de ces récits de guerre avant qu’ils ne soient totalement perdus pour leur postérité. La disparition de ces nombreux témoignages laisse les jeunes générations orphelines de récits familiaux. Les cours d’histoire sur la Deuxième Guerre mondiale ne deviennent plus qu’un exercice académique sans aucun rapport direct avec un vécu familial désormais oublié.

Liliana Segre, rescapée italienne des camps, doit vivre sous protection policière comme les repentis mafieux

Cet Alzheimer historique qui nous guette expliquerait-il les nostalgies de l’homme fort, la recrudescence du racisme et de l’antisémitisme ou la banalisation de la Shoah ? En Italie, berceau du fascisme, la commémoration de l’anniversaire de Mussolini rassemble toujours plus de nostalgiques du Duce. Liliana Segre, sénatrice à vie, rescapée italienne des camps de concentration qui allait témoigner dans les écoles, reçoit des menaces antisémites et doit vivre sous protection policière constante comme les repentis mafieux. Que dire des antivaccins qui se permettent aujourd’hui d’arborer l’étoile jaune au mépris total des millions de Juifs déportés et assassinés ?

Il nous appartient donc, en tant que derniers dépositaires de la mémoire de nos parents et grands-parents de la perpétuer, de ne pas briser le fil ténu qui relie les générations, afin de s’assurer que les sacrifices qu’ils ont endurés, que les drames qu’ils ont vécus n’auront pas été vains. Quand il n’existera plus de victimes pour montrer leur avant-bras tatoué, pour convaincre les sceptiques (confortablement assis devant leur écran, biberonnés aux théories complotistes et négationnistes), que les fours crématoires ont bel et bien existé, que le nazisme, le fascisme et le stalinisme furent des idéologies mortifères qui ont impacté la vie de tout un chacun plus ou moins brutalement, il faudra redoubler d’efforts pour raconter et enseigner l’histoire.

Le devoir de mémoire nous incombe à tous

L’Histoire de se répète pas, mais son enseignement, sous toutes les formes, reste une condition nécessaire pour que les jeunes générations ne reproduisent les erreurs tragiques du passé. Cette tâche ne doit pas être laissée uniquement aux professeurs d’Histoire. Le devoir de mémoire nous incombe à tous.

 

[1] Témoin d’une déchéance: Roman épistolaire d’une jeune tessinoise en Italie. Éditions Mon Village 2021.

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