Une chronique politique sans parti pris

La contradiction créatrice de nos institutions

 

Un bon juriste peut présenter soit le plaidoyer comme avocat d’un accusé, soit le réquisitoire comme ministère public. Selon la situation de l’orateur, l’inculpé sera présenté noir ou blanc. Car il y a dans tout dossier de quoi plaider la condamnation ou l’acquittement.  Tel est le défi auquel a été confronté le conseiller fédéral Albert Rösti, ancien président de l’UDC, qui a jadis combattu la loi climat jusqu’à lancer un référendum, et qui doit maintenant défendre cette loi au nom du conseil fédéral en vue de la votation du 18 juin.

La presse en fait des gorges chaudes : quoi de plus cocasse que les contorsions d’un idéologue de droite. Or, ce qui se passe n’illustre pas une contradiction de nos institutions mais leur force. Parmi ses piliers, il y a la concordance et la collégialité : tout parti important doit être représenté au gouvernement et, dès lors, tout ministre doit défendre la position de celui-ci en faisant abstraction de celle de son ancien parti et (ou) de la sienne. Cette double contrainte est évidemment inimaginable dans la plupart des régimes, mais elle est la singularité essentielle de la Suisse. Elle en a assuré la stabilité et la prospérité.

Albert Rösti remplit donc parfaitement son office. Et son ex-parti a tort de se moquer de cette contorsion. Gouverner un pays en dehors de toute politique partisane consiste à accepter des thèses provenant de tous les horizons. Cela détermine forcément une démarche centriste. Dans un débat en Helvétie, il arrive souvent qu’une des parties se rallie à la thèse qu’elle a combattue « Par gain de paix », formule admirable. Cela veut dire en clair que personne n’est jamais tout à fait assuré d’avoir raison et qu’il écoute les arguments de la partie adverse avec sérieux et empathie.

Dès lors on peut se demander quand est-ce que Rösti parle selon sa conviction personnelle : avec ou contre le Conseil fédéral ? A-t-il réellement des convictions ?

A la suite d’une déclaration révélatrice, on peut parier qu’il n’a pas changé d’opinion mais seulement de discours. En effet lors d’un congrès le 20 avril sur les économies d’énergie, il a déclaré : « …nous aurons un hiver2023-2024 plus froid car celui que nous avons vécu est statistiquement le plus chaud des dernières années. » C’était à la fois faux et naïf, personne ne peut prédire ce que sera le prochain hiver et celui qui néanmoins s’y risque dévoile surtout son ignorance.

La propriété fondamentale d’une variable aléatoire est qu’elle est imprévisible : si on joue à pile ou face, ce n’est pas parce qu’on vient de tirer pile que, la fois suivante, on a plus de chance de tirer face. De même, un hiver froid ne compense pas un hiver chaud, ni ne lui succède.

La seule chose que l’on puisse actuellement affirmer, c’est que le réchauffement climatique nous permet d’envisager une lente montée des températures. Et donc s’il fallait parier, il y a tout de même un peu plus de chances d’avoir un hiver chaud que froid parce que le tirage est biaisé à partir de maintenant.

Le parti dont Rösti fut président a mené des campagnes de désinformation en matière climatique avec des assertions invraisemblables et contradictoires : il n’y aurait pas de réchauffement ; s’il y en avait un, ce ne serait pas dû à l’action humaine ; nous ne pourrions de toute façon rien faire pour l’enrayer. De telles contre-vérités répétées finissent par devenir des certitudes pour ceux qui les propagent. Ils ne parviennent pas à se ranger à l’opinion du parti inverse car ce serait reconnaître qu’ils se sont lourdement trompés et, surtout, qu’ils ont gravement mené l’opinion publique sur une fausse voie. S’ils réussissent si bien en politique au point d’être le premier parti de la Suisse, c’est précisément parce qu’ils rencontrent les préjugés les plus secrets, les plus inavouables, les plus irréalistes de la plus grande part de la population. Réussir commodément en politique ne s’obtient pas en guidant le peuple, mais en le suivant.

 

 

 

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