Une chronique politique sans parti pris

Une mauvaise idée

 

 

Elle est proposée par Avenir Suisse : les étudiants pourraient accéder à des prêts, indépendamment de leurs ressources propres et de leurs garanties de crédit ; le remboursement n’interviendrait qu’après les études et à partir d’un revenu minimum. Excellente proposition si elle n’était pas accompagnée d’une autre. Car les frais d’inscription à l’université comporteraient les coûts réels, contrairement à la modeste taxe actuelle qui ne couvre pas du tout les frais d’études, supportés par les finances publiques.

Si l’idée de fournir un prêt à tout étudiant pour couvrir ses frais de subsistance est attrayante, celle de lui faire payer le coût de ses études l’est beaucoup moins. Sans le dire, cela revient à privatiser les hautes écoles, c’est-à-dire à se ranger au modèle des universités américaines. Leurs diplômés se retrouvent chargés d’une dette écrasante au début de leur carrière.  En 2019, 45 millions d’Américains cumulaient une dette de 1 600 milliards de dollars contractée pour payer leurs études. Ce montant est plus élevé que la dette liée aux cartes de crédit, environ 1 000 milliards. Cela représente un obstacle pour démarrer dans la vie car les banques renâclent à accorder de nouveaux prêts pour l’achat d’un logement ou d’une voiture à ces clients déjà endettés. Les jeunes ne peuvent pas non plus compter sur leurs parents, dont certains remboursent encore leurs propres études.

Cette proposition est carrément irréaliste pour la Suisse. En 2020, les coûts par étudiant pour les études de médecine se sont élevés en moyenne à 106’880 francs par an. Le cursus de six ans d’études coûtait ainsi environ 642’000 francs. Comment un jeune médecin pourrait-il à la fois supporter cette dette et celles pour installer son cabinet ?

L’étude d’Avenir Suisse suppose de modestes remboursements annuels de l’ordre de 1500 CHF et prétend que, sur la durée d’une carrière, les prêts pourraient être intégralement remboursés. Ce n’est manifestement pas le cas pour la médecine. Même remarque pour l’EPFL.  Or, nous sommes actuellement en pénurie aussi bien de médecins que d’ingénieurs. Les charger d’une dette aussi exorbitante les inciterait à émigrer. Cela reviendrait à les remplacer par des diplômés étrangers qui ne seraient pas astreints à une dette.

Pour que cette opération soit globalement rentable, c’est aussi supposer que toute formation universitaire procure un emploi bien rémunéré. Ce n’est pas le cas pour les jeunes chercheurs réduits à des postes d’assistants modérément payés, celle des stagiaires avocats ou des internes dans les hôpitaux. Où placer la barre à partir de laquelle il faut rembourser la dette ? Trop haut cela ne rembourse rien, trop bas c’est insupportable.

C’est aussi négliger que les diplômés procurent à la société un apport fiscal, parce qu’un niveau d’éducation supérieur entraîne en moyenne un revenu plus élevé. Autre considération : une formation avancée signifie un investissement personnel par manque à gagner qui peut s’étendre sur plus d’une décennie. En ce sens les diplômés ont déjà « payé » pour le privilège d’étudier.

Mais ces considérations financières n’effleurent pas le véritable enjeu : on répète souvent que les cerveaux sont la seule matière première de la Suisse. L’université est pour l’instant le service public qui l’exploite, il est normal que ce soit un investissement collectif, c’est-à-dire aux frais de l’Etat.

Toutefois, selon Avenir Suisse pour ne pas « nuire » à la formation supérieure, il faudrait que les coûts de celle-ci soient supportés par ceux qui en tirent le plus grand profit. On ne voit pas le rapport. Au contraire. Ce serait une mauvaise affaire pour la place scientifique suisse, qui doit déjà massivement recourir à des diplômés étrangers, que de décourager ses propres ressortissants en les taxant. Ce serait ramener son rôle à celui d’une école de cadre pour milieux favorisés, alors qu’elle est aussi un outil de formation à la recherche pour les plus doués.

On en viendrait à favoriser les formations qui garantissent une « employabilité » en fermant les autres comme l’égyptologie, la musicologie, la philologie, la philosophie. Or, le terme même d’université fait référence à l’universalité du savoir ou de l’interrogation. Une vieille maxime latine résume ironiquement le projet universitaire « De omni re scibili et de quibusdam aliis », de tout ce que l’on peut savoir et de quelques autres.  Ce n’est qu’en posant des questions provisoirement sans réponses que l’on finit par trouver leur bonne formulation.

Si le savoir n’est pas une passion, au même titre que la culture ou la foi, ce n’est qu’une triste manie.

 

 

 

 

 

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