Une chronique politique sans parti pris

De mal en pis

 

Le rachat de Credit Suisse fait partie de ces événements financiers qui échappent à la sagacité du citoyen ordinaire ; il eut lieu dans la précipitation sans l’avis des actionnaires et malgré les assurances que la banque était bien capitalisée. Tout a tourné autour du concept de « confiance », qui est indéfinissable, incontrôlable et invérifiable. Même la Banque Nationale ne put le restaurer en injectant la somme de 50 milliards. La Confédération, la Finma et la BNS, qui n’ont rien prévu et rien pallié, se sont toutes trois déconsidérées. A quoi servent-elles donc si elles n’ont pas les pouvoirs ou les compétences d’intervenir avant la catastrophe ?

L’UBS recueille les bénéfices de cette incurie en achetant pour trois milliards une entreprise qui en valait beaucoup plus en période de confiance, tandis que les actionnaires, les clients et les collaborateurs de Credit Suisse sont lésés. L’appui donné par la Confédération constitue un risque supplémentaire de 9 milliards de francs pour les contribuables.

D’une part les rétributions ordinaires des dirigeants de banque se montent à plusieurs dizaines de millions par an, même pour les exercices qui subissent une perte, d’autre part le travailleur ordinaire subit des prélèvements obligatoires qui le réduisent à la portion congrue. Dans la vie telle qu’elle est, les banquiers sont comblés de biens, parce qu’ils gèrent les biens des autres sous le prétexte qu’ils y seraient plus compétents.

Comme toute banque Credit Suisse était muni d’un conseil d’administration, censé surveiller la gestion de l’entreprise. Avant même la Confédération, la Finma et la BNS, il aurait dû réagir. Il n’en a rien été, comme s’il n’existait pas. Il faut donc en conclure que les administrateurs étaient inaptes. Comment ont-ils été promus à leur fonction ? Autre mystère. Il existe une catégorie d’administrateurs, qui cumulent les mandats pour des raisons ténébreuses, en particulier parce que cela rassure d’en amasser le plus possible. Si on allait voir de plus près, on découvrirait sans doute que certains n’ont d’autre qualification que leurs naissances, leurs fortunes ou leurs relations.

Ce qui vaut pour les administrateurs du Credit vaut a fortiori pour les Conseillers fédéraux et les dirigeants de la BNS ou de la Finma. Lorsqu’un pont s’effondre des ingénieurs sont mis en cause. Qui est rémunéré pour sa compétence supposée et garantie par un diplôme doit assumer ses responsabilités. On est curieux d’apprendre si la débâcle de Credit Suisse donnera lieu à un procès quelconque.

Dans nos pays voisins, les ministres servent de fusibles et démissionnent si une catastrophe se produit dans leur dicastère. En Suisse cela est inimaginable parce que le pouvoir n’appartient à personne. Nous vivons en acratie, en dissolution du pouvoir en tant de fragments qu’il est impossible de désigner aucun coupable nommément. Ce système est idéal pour gérer la routine mais il défaille lorsqu’un défi important surgit. L’incompétence des titulaires constitue leur principale excuse : ne se réclamant d’aucune aptitude, ils sont innocents par définition. Après Swissair et UBS, la défaillance de Credit Suisse dévoile notre acratie : elle a tant d’avantages que le bricolage du rachat qui pallie ses manques suffit à nous rassurer.

Dès lors la solution appliquée est paradoxale. Si CS était « too big to fail”, que dire de l’UBS gonflée par son achat : elle est « much too big to fail », elle dépasse peut-être les possibilités de la BNS, de la Confédération voire de la Suisse. C’est une politique de Gribouille qui pour se protéger de la pluie se jetait à l’eau. On n’arrête pas de répéter que la nouvelle UBS ne peut pas faillir et que l’on prendra toutes les mesures pour s’en assurer, mais on a jusqu’à présent démontré qu’elles étaient inefficaces. Il faudra peut-être en venir à désigner et à installer un véritable gouvernement plutôt que la délégation parlementaire que constitue de fait le Conseil fédéral. En cas d’erreur grave, il faut pouvoir désigner un responsable.

 

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