Une chronique politique sans parti pris

Une carence délibérée

 

Médecins de famille, pédiatres, psychiatres et psychothérapeutes venant de l’étranger devraient plus facilement pouvoir exercer en Suisse en cas de pénurie. A l’heure actuelle, le praticien qui veut exercer dans un cabinet en Suisse doit avoir travaillé pendant trois ans dans un établissement helvétique.  Par dérogation en cas de pénurie, les cantons sont maintenant autorisés d’accorder des exceptions.

La cautèle précédente signifiait que la Suisse formulait des doutes sur une formation dispensée à l’étranger et que le futur praticien se devait d’être encadré pour que l’osmose avec des médecins suisses l’assimile. Maintenant, tout à coup cela ne semble plus nécessaire. Il existe une contradiction entre ces deux attitudes : la trop réelle pénurie rendrait soudain les étrangers plus compétents. Ou bien on fut jadis tatillon, ou bien on devient maintenant laxiste. Il faudrait choisir. A-t-on décrié à tort ces médecins autrefois ou met-on aujourd’hui en danger la sécurité des patients ?

Mais cette pénurie elle-même, d’où provient-elle ? Elle est incompréhensible. Normalement un pays développé, (une litote pour la Suisse) doit pouvoir former assez de médecins pour ses propres besoins. Or ce n’est pas le cas. Près de 40% sont originaires d’autres pays.

Quelle est la source des diplômes suisses ? Les facultés de médecine sont celles des universités de Bâle, Zurich, Berne, Fribourg, Genève, Neuchâtel et Lausanne. Mais elles sont limitées en nombre dès le début des études par un numerus clausus, de droit ou de fait, décidé par les cantons. Cette limitation du nombre de places d’études en médecine relève de décisions politiques, alléguant soit les coûts trop élevés des études de médecine, soit le nombre restreint de places de formation à la pratique dans les hôpitaux. Deux prétextes, faute d’une réelle excuse.

La sélection des étudiants se fait de différentes manières. Dans les universités de Genève, Lausanne et Neuchâtel, une sélection a lieu à la fin de la première année. Les universités de Bâle, Berne, Fribourg, Zurich exercent un numerus clausus pour l’admission en première année.

Le Conseil fédéral estime qu’il faudrait de 1200 à 1300 diplômes par an pour réduire la dépendance de l’étranger. Or ce chiffre n’était que de 900 en 2016. Il y avait donc chaque année un déficit de 300 à 400 diplômés. La Suisse ne formait que les trois quarts des médecins nécessaires, prétendument parce que cela aurait couté trop cher pour un des pays les plus riches au monde. Prétexte complémentaire : parce qu’il n’y aurait pas assez de places de formation à la pratique. Pourquoi ? Comment nos pays voisins parviennent -ils à former non seulement assez de diplômés pour leurs propres besoins mais aussi les nôtres ?

La Confédération a finalement octroyé un crédit de 100 millions de francs sous la forme de contributions dans le cadre du message relatif à l’encouragement de la formation. De 2016 à 2019, les capacités ont augmenté de 354 places d’études de niveau bachelor et 88 places de niveau master. En 2020, 182 nouvelles places d’études de niveau master ont été créées. Le nombre de diplômes de bachelor et de master est passé de 878 et 786 en 2013 à 1087 et 995 en 2018, soit toujours trop peu. La Confédération continue à assumer une partie des coûts engendrés par cette augmentation.

Il reste l’impression d’un gâchis qui a perduré pendant des décennies. Il est anormal que la Suisse ne puisse former tous les médecins dont elle a besoin et qu’elle pourrait aussi prêter aux pays démunis. Sous les prétextes avancés, la véritable raison est le réflexe de réduire les coûts de l’assurance maladie en générant une pénurie relative de médecins, selon le prétexte qu’en matière de santé ce serait l’offre qui crée la demande. En réalité, on croyait limiter la demande en raréfiant l’offre : on avait apparemment oublié que les pays voisins formaient des médecins parfaitement aptes à exercer en Suisse.

Si la Suisse fut et est dans cette situation, c’est le résultat d’une volonté politique dont elle doit assumer l’entière responsabilité, plutôt que de faire comme si elle était victime d’un complot. Le numerus clausus doit être soit abrogé, soit ajusté pour qu’il y ait de l’ordre de 1400 masters au terme des études. Pour résoudre le problème du financement, la bonne solution est de s’aligner sur les EPF par une totale prise en charge des Facultés de Médecine par la Confédération. Ce n’est pas aux cantons universitaires d’investir unilatéralement dans une tâche fédérale.

 

 

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