Une chronique politique sans parti pris

Une dérive politique

 

 

Le Conseil d’Etat genevois vient de refuser l’élection d’Eric Bauce comme recteur de l’université. Ce ne sont pas ses capacités de chercheur ou de gestionnaire qui sont mises en doute, mais son origine. Un Québécois est par nature inapte à diriger l’université de Genève, il lui manque cette subtilité qu’engendre le séjour dans la cité de Calvin, il parle le français avec un accent picard, en un mot c’est un étranger.

Or, nous sommes familiers avec le principe de séparation des pouvoirs. Même un conseiller d’Etat n’a pas à influencer le verdict d’un juge. L’idée est de fractionner le pouvoir pour éviter que l’on en abuse. Les dictateurs finissent dans un accès de folie paranoïaque. Dans l’acratie helvétique cela ne peut arriver car personne n’outrepasse ses prérogatives.

Ce qui est vrai pour les pouvoirs traditionnels, exécutif, législatif, judiciaire devrait l’être tout autant pour la séparation du politique et du scientifique. Ainsi le Conseil des EPF nomme les professeurs, sans que le Conseil fédéral n’intervienne. Pourquoi ? Parce qu’il est incompétent en matière scientifique. Parce que le passeport d’un professeur n’a aucune importance. Parce que les EPF doivent être excellentes et que tout doit être sacrifié à la qualité scientifique.

Il est très difficile d’expliquer à qui n’est pas du métier académique que chaque profil de candidat à un poste de professeur, a fortiori de recteur ou président,  est singulier et qu’il est impossible de commencer par établir entre deux candidats qu’ils seraient : ““A valeurs analogues, à profils d’excellence comparables, à qualités scientifiques et humaines proches, voire similaire” et de donner ensuite en toute bonne conscience la priorité à un candidat national. Pendant longtemps ce mécanisme a joué dans la plupart des universités européennes et j’en fus moi-même la victime dans mon propre pays où la règle était de nommer quelqu’un de la même province!

Il est aussi difficile d’expliquer que d’une certaine façon, les universitaires, comme les artistes d’ailleurs, ont une nationalité seconde, bien plus forte que celle de leur passeport. Une carrière et une réputation se construisent dans le monde entier. Les bonnes revues scientifiques sont internationales. Un candidat qui n’a jamais travaillé en dehors de son université d’origine et qui n’a jamais publié que dans des revues locales est douteux a priori et à juste titre, tout comme un musicien qui n’aurait jamais donné de concert que dans sa ville natale ou un comédien qui n’aurait jamais joué que dans un seul théâtre.

Cette mondialisation de la science repose sur une évidence : la recherche progresse dans plusieurs pays et un fragment de connaissance obtenu quelque part n’a pas de passeport. Notre physique a reçu des apports anglais, français, allemands et américains, mais elle est une et cette unité est sa véritable marque. Il faut le délire nazi ou soviétique pour promouvoir une science nationale

L’EPFL a abondamment bénéficié d’un président fribourgeois et médecin après trois présidents tous vaudois et ingénieurs. La nomination de Patrick Aebischer, médecin sans expérience de gestion institutionnelle et extérieur au milieu technique à la tête de l’EPFL a suscité des réserves. Des industriels en vue, ont émis publiquement leur réticence. Celles-ci ont produit une vacance de pouvoir d’un peu plus de deux semaines, avant que Patrick Aebischer n’obtienne gain de cause et ne prenne ses fonctions, avec l’équipe qu’il avait choisie, le 17 mars 2000. Mais l’expérience ultérieure a tranché. De 2000 à 20016, Patrick Aebischer a transformé une respectable école d’ingénieur romande en une université de technologie de réputation mondiale.

La nationalité du futur recteur de Genève est donc le type même de faux problème par lequel des mal placés essaient de se pousser. Parler de “ségrégation internationaliste” est une contradiction dans les termes puisque l’internationalisme consiste précisément à ne pas établir de ségrégation sur base du passeport, qui ne dit rien de la qualité du candidat et tout du hasard de sa naissance.

Le refus du Conseil d’Etat sera connu dans le monde scientifique international et détournera des candidats prometteurs de s’orienter vers l’Université de Genève. Celle-ci est maintenant contrainte de « choisir » un candidat local alors que, lors de l’ouverture du poste, il n’y en avait qu’un seul. Quelle personnalité crédible va-t-elle abandonner sa carrière de chercheur pour se consacrer à cette mission suicide ? Ce n’est jamais gratifiant de représenter le second choix. Quel ascendant pourra-t-elle exercer sur ceux qui ne l’ont pas élu ?

La meilleure réponse du berger à la bergère consisterait pour le corps académique genevois de s’abstenir de tout choix et d’en déléguer la responsabilité au Conseil d’Etat.

 

 

 

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