Une chronique politique sans parti pris

Une proposition aberrante

 

 

« Selon un projet du Conseil d’Etat neuchâtelois, la taxe d’études semestrielle grimperait de 425 à 720 francs pour les étudiants suisses, Pour les étrangers, le total grimperait de 790 à 970 francs. Pour rappel, le gouvernement neuchâtelois a annoncé mi-décembre proposer au Grand Conseil de verser 50 millions par an, pour un budget annuel de 140 millions. »

Cette ponction sur le budget des familles d’étudiants est tout d’abord inutile : 4500 étudiants rapporteraient quelques dizaines de milliers de francs, moins d’un millième du budget annuel de l’université.  Mais soustraire deux cents francs à un budget étudiant, c’est significatif. Cela se conforme ä une vieille règle cynique : il faut surtout taxer les pauvres même s’ils n’ont pas d’argent parce qu’ils sont les plus nombreux.

Cette taxe augmentée s’inscrit en contradiction avec une situation de crise du personnel qualifié à tous les échelons : médecins, ingénieurs, informaticiens, commerciaux, personnel de restauration ou d’hôtellerie…A moins de supposer avec le Conseil d’Etat neuchâtelois que son université ne forme pas de personnel indispensable, c’est-à-dire qu’elle produit des diplômés de luxe, il y a là une contradiction évidente.

La force d’une économie repose dans sa disponibilité en personnel qualifié, soit qu’il soit formé dans le cadre national, soit qu’il soit importé de l’étranger. A ce titre la taxe plus élevée pour les étudiants étrangers relève de l’aberration financière. Elle est généralement justifiée par le fait que les parents de ces étudiants ne paient pas d’impôts en Suisse et ne financent donc pas par leurs contributions les universités suisses. C’est oublier que la Suisse n’a pas dû financer leurs études primaires et secondaires et qu’elle bénéficie d’un apport humain gratuit, considérable et bien nécessaire.

On a entendu souvent à Berne la rengaine que la Suisse possède tellement de scientifiques de haut niveau qu’elle peut se passer de l’apport étranger, en particulier de la participation à Horizon Europe doté d’une centaine de milliards d’euros et créant des synergies entre groupes de recherche sur le plan international. La proposition neuchâteloise s’inscrit dans une longue campagne de méfiance à l’égard de la science.

Cela vaut donc la peine de rappeler et de préciser ce que la science internationale signifie aujourd’hui dans l’économie du pays. Elle conditionne l’innovation dans les firmes établies et par le surgissement de jeunes pousses (dites start-up en globish). Elle maintient ainsi la compétitivité d’un pays comme la Suisse caractérisé par des salaires élevés et une main d’œuvre très qualifiée. Si la science suisse déclinait, l’économie en pâtirait. Pas tout de suite, mais à l’échelle d’une génération lorsque le dynamisme acquis par la recherche en Suisse se sera affaibli. Il a fallu du temps pour la porter à son niveau actuel dont elle ne descendra que lentement, au point que cela ne sera pas remarqué avant qu’il soit trop tard.

Il ne suffit pas de financer la recherche comme si c’était une activité manufacturière dont on améliore forcément la productivité en réformant l’équipement technique. Il y a dans la science une dimension impalpable, comme dans la culture ou dans la religion. Il y faut des esprits entrainés aux disciplines fondamentales mais aussi stimulés par une tendance à remettre en question les évidences les mieux établies. Cela ne se mesure pas, cela se gagne et se perd sans qu’on le sache.

Il n’y a pas de science nationale qui puisse subsister sans contact informels et officiels avec le reste de la planète. Le meilleur contre-exemple en est la Russie. Durant la guerre froide, les scientifiques russes ne participaient pas aux colloques internationaux, tout simplement parce que le pouvoir soviétique craignait de ne pas les voir revenir s’il les laissait franchir le Rideau de Fer, cette vaste clôture destinée à enfermer ses esclaves.

Durant un colloque, de nombreuses communications sont présentées à la tribune. Certes, les textes sont publiés et à disposition de tous, même des chercheurs colloqués en Russie. Mais ceux-ci manquent les contacts informels avec leurs collègues des pays libres. De même ils ne seront pas invités dans les universités étrangères. Or, ce qu’il y a de plus précieux dans la recherche, ce qui permet aux uns de progresser là où d’autres stagnent, relève des secrets de fabrication de la science. Ce sont des non-dits dans certaines enceintes parce que cela va de soi, que tout le monde est au courant, que c’est tellement évident que cela ne vaut pas la peine d’en faire part dans une publication. La seule façon de l’apprendre est de séjourner dans ce laboratoire étranger et de maintenir un contact étroit avec ses chercheurs.

Ce furent les fonctions remplies par Erasmus et Horizon. Il ne suffit donc pas de financer des activités dans des universités suisses pour pallier la perte d’Horizon. De même les étudiants ne se déplaceront plus aussi facilement qu’avec Erasmus parce qu’il faudra que chaque université suisse négocie avec l’étranger pour cet échange. Et enfin les étudiants étrangers auront moins tendance à passer une année dans une université suisse, surtout s’ils sont stigmatisés par des taxes plus élevées comme si on ne les acceptait qu’à contrecœur.

Les parlementaires fédéraux ont bien compris que la science influence de plus en plus la politique parce qu’elle établit des faits que l’on ne peut plus ignorer en établissant une politique. C’est donc une perte croissante de leurs pouvoirs. Il est devenu impossible de nier le réchauffement climatique. Il est devenu insensé de prétendre que l’épidémie ne peut être combattue par la vaccination de masse. Il est devenu absurde de refuser la vente d’armes à l’Ukraine. Or, les faits sont têtus et les idéologies de droite et de gauche servent de moins en moins à les dissimuler. Jadis le Baron Louis, ministre français des finances, énonça sa doctrine « Faites-moi une bonne politique et je vous ferai de bonnes finances ». Aujourd’hui on peut ajouter : « Faites-moi une bonne politique  et je vous ferai une bonne science ».

 

 

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