Une chronique politique sans parti pris

Arrêter la recherche ?

 

Dans le débat sur l’augmentation des primes maladies, j’ai reçu le texte suivant qui contient une proposition neuve :

« A la lumière des hausses des primes annoncées le 27.09 et compte tenu des difficultés pour endiguer le montant de ces primes, ne devrait-on pas poser la question d’un ralentissement de la recherche médicale et des investissements par rapport aux dépenses de santé. Par ailleurs, ce niveau de service est déjà très élevé ; pourquoi devrait-il encore augmenter et jusqu’où ? Il s’agit de choix de vie ; dès lors, ne parait-il pas juste de faire appel à la démocratie directe au niveau cantonal sur ce sujet ? »

Parmi toutes les suggestions pour contenir les primes, celle-ci a le rare mérite simultané d’aller à la racine du problème et de défier le politiquement correct. Si c’était possible, cela marcherait. Mais cela ne se fait pas de proposer de freiner le progrès médical et donc aussi de stopper le vieillissement de la population. Ce sont les deux facteurs intriqués du phénomène, les véritables, ceux qu’on ne mentionne jamais. Dans la même veine, on a essayé jadis de limiter le coût de la médecine en limitant le nombre de médecins et celui des cabinets médicaux. Cela n’a pas marché du tout car les jeunes Suisses, nourrissant une vocation médicale et écartés par le numerus clausus des Facultés, furent remplacés et au-delà par des praticiens étrangers, qui représentent aujourd’hui le quart des médecins en activité. Il est très difficile de priver ou de rationner la population qui éprouve le besoin irrésistible de ne pas souffrir et de vivre le plus longtemps possible. Même et surtout si elle n’en a pas les moyens parce qu’elle est démunie des finances nécessaires. On ne peut pas mourir prématurément parce que l’on est pauvre. On ne pourrait pas. En fait c’est cependant le cas.

Au cœur de notre société se trouve le mythe de l’égalité. Celle des droits politiques, de la liberté de penser, d’accéder à la formation, mais aussi et surtout de jouir de la même espérance de vie. Cela exclut la solution consistant à freiner la recherche médicale en Suisse parce qu’elle se poursuivrait inévitablement à l’étranger et elle ouvrirait la porte à une médecine à deux vitesses car les plus fortunés y auraient accès.

D’ailleurs si la recherche en général, en sciences naturelles et en techniques, progressent, par la force des opportunités, la recherche médicale en bénéficie. A un certain niveau de connaissances en physique, la construction d’un appareil à IRM devient possible donc inévitable. L a recherche en biologie fondamentale ouvre la porte à la thérapie génique. Les médicaments pour la chimiothérapie sont développés par l’industrie pharmaceutique.

Interdire toute recherche scientifique ne peut être que le geste d’un pouvoir dictatorial. Il a fallu l’Inquisition pour arrêter Galilée ; Staline pour promouvoir la « biologie » de Trophim Lyssenko et éliminer les biologistes partisans de Mendel. On ne peut exclure que cela soit dans le futur la tentation de dirigeants dérangés comme Poutine, Bolsonaro ou Trump. Ce dernier n’a-t-il pas proposé de lutter contre le Covid en absorbant de l’eau de Javel ? Si par malheur une guerre nucléaire se déclenchait, elle entrainerait sans doute un arrêt universel de la recherche. Mais personne ne la souhaite.

Au lieu de l’arrêt de la recherche, en opposition avec cette formule radicale, voici le genre de titres qui foisonnent dans les médias : « Non à l’augmentation des primes. Ce n’est  pas la santé qui coûte cher, mais la pharma et les compagnies d’assurances ». Cette déclaration démagogique n’attaque en rien le véritable problème, mais elle désigne des boucs émissaires, ceux qui dépensent. Elle s’abstient de dire que la santé coûte forcément plus cher, si la population vieillit, parce qu’elle reçoit des soins de plus en plus compliqués et donc de plus en plus coûteux. On évite sans doute même de le penser. Cela fait partie d’un gigantesque impensé avec le défi climatique, la vaccination contre le Covid, la relation avec l’UE.

Le véritable aiguillon des soins de santé est le souhait spontané, animal, de ne pas souffrir et de vivre longuement. Il est inscrit à la fois dans notre nature et dans notre culture, dans notre corps et dans notre esprit, il est insurmontable. Il ne peut être dominé que par la force, celle qui déclenche des génocides, c’est-à-dire la suppression des autres, au bénéfice de notre vie particulière. Il est très dangereux de jouer avec la vie, sa durée, son universalité. Les primes maladie vont donc continuer à augmenter  parce que la véritable cause ne peut être supprimée.

Reste la dernière suggestion : faire appel au peuple par une initiative demandant l’arrêt de la recherche ou ce qui revient au même le plafonnement du budget global de la santé au niveau cantonal. Il n’est pas exclu que cela passe. Pour être honnête, il faudrait alors interdire le tourisme médical des riches vers l’étranger ou même des Suisses d’un canton à l’autre. On a beau y réfléchir, c’est impossible sauf à faire comme les dictatures soviétiques qui interdisaient à leurs citoyens de franchir le Rideau de Fer ou même de sortir de leur province. Cela veut dire que si on freine les soins, on s’en prend à la démocratie et que si on ne paie pas la facture de la santé, on instaure l’inégalité devant la souffrance et la mort.

 

 

Quitter la version mobile