Une chronique politique sans parti pris

L’absolution des crimes de guerre

 

« Les soldats russes qui mourront dans la guerre en Ukraine seront lavés de tous leurs péchés, a déclaré le chef de l’Eglise orthodoxe de Russie quelques jours après l’annonce par Vladimir Poutine de la première mobilisation dans le pays depuis la Seconde Guerre mondiale. Le patriarche Cyrille est un allié du président russe. Il a déjà exprimé son soutien à l’intervention militaire en Ukraine, a critiqué les opposants à cette guerre et a appelé les Russes à être solidaires du Kremlin. »

De la sorte, il s’aligne sur le djihadisme. Les terroristes musulmans qui se font exploser pour entraîner des infidèles dans la mort sont, eux, instantanément propulsés dans le paradis d’Allah. Le salut s’acquiert par le suicide et le meurtre. L’islam intégriste et l’orthodoxie fondamentaliste mènent le même combat de détournement du spirituel au bénéfice du pouvoir.

Bien évidemment cette pratique et la déclaration du patriarche entrent en contradiction avec le sixième commandement : « Tu ne commettras pas de meurtre », aussi clair que limpide parce qu’il ne prévoit pas d’exception. Comme il fallait bien gérer les guerres, Thomas d’Aquin formalisa jadis une doctrine de la guerre juste. Le concept vient d’être balayé par le pape François : « Nous ne pouvons donc plus penser à la guerre comme une solution, du fait que les risques seront probablement toujours plus grands que l’utilité hypothétique qu’on lui attribue. Face à cette réalité, il est très difficile aujourd’hui de défendre les critères rationnels, mûris en d’autres temps, pour parler d’une possible « guerre juste». Jamais plus la guerre ! »

La culture russe n’a pas encore intégré cette dernière injonction qui fait la quasi-unanimité en Occident, avec d’hypocrites exceptions comme la guerre d’Irak en 2003, justifiée par de prétendues armes de destruction massives.

Nous revenons de très loin. La Wehrmacht nazie portait l’inscription « Gott mit uns» sur ses ceinturons tandis que la devise de la monarchie anglaise est « Dieu et mon droit ». Selon la tradition, le pouvoir politique était d’origine divine. Jadis, l’avantage du polythéisme résidait dans la multiplicité des dieux qui pouvaient choisir leurs camps. L’inconvénient du monothéisme est que le Dieu unique ne peut soutenir toutes les parties ou toutes les patries. Chacun des politiques l’instrumentalise alors pour son compte en dépit de toute vraisemblance.

Or, bien évidemment personne n’en sait rien, parce que personne n’est revenu d’un autre monde pour en définir les contours. Même si les théologiens ont construit une survie en cinq étages : Ciel, Purgatoire, Enfer, Limbes des enfants, Limbes des Patriarches, cela relève de leur imagination tout comme un jugement après décès qui « laverait » effectivement un soldat russe de ses péchés, y compris les crimes de guerre comme la torture et le meurtre de civils. De ce fait la déclaration du patriarche constitue un encouragement à commettre des crimes et une soustraction à la justice internationale.

Cela suscite inévitablement une comparaison avec les crimes de pédophilie commis au sein de l’Eglise catholique, mais surtout à leur dissimulation envers la justice civile. Par l’absolution du péché, on s’imaginait effacer la faute pénale. En situant des actions sur un plan spirituel, on se permet de les soustraire aux règles les plus élémentaires du Droit de l’Homme. C’est exactement ce que fait le patriarche.

On peut donc se demander ce qui se passe dans sa tête. Solution simple : c’est un ancien employé des services secrets propulsé à la tête de patriarcat de Russie pour couvrir la dictature poutinienne et lui donner une assise divine, il ne croit ni à Dieu, ni à diable, il préside des rites et des sacrements auxquels il ne croit pas, c’est un figurant, un imposteur. Solution compliquée : il est déchiré par les remords, écartelé entre son patriotisme et les lambeaux de sa foi, persuadé de pouvoir modérer son ami Poutine. Un beau roman russe dans la veine de « Crime et châtiment ».

 

 

 

 

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