Une chronique politique sans parti pris

L’écologie, contestation et gestion

 

 

« Il y a tout juste 50 ans, le 3 mars 1972, un groupe d’experts réunis autour de Dennis Meadows a rendu public un rapport baptisé “les limites de la croissance”, premier jalon d’une prise de conscience que le développement de l’humanité dépasse les capacités de la planète. »

Dans le sillage des mouvements hippie et punk, sont nés des mouvements de conservation de la nature, qualifiés d’écologie ou parfois d’écologisme. Ils furent rejoints par une frange de la gauche soixante-huitarde, déçue de sa révolution culturelle avortée et insatisfaite des accommodements de la social-démocratie. En 1979, Daniel Brélaz fut élu au Conseil national devenant le premier écologiste au monde à siéger dans un parlement national. La Suisse ne fut donc pas en retard. Elle innova même : au début de l’année 2006 les Vert’libéraux participent pour la première fois à des élections communales. Entretemps, les autres partis ont procédé au verdissement superficiel de leur programme, sans y rien changer qui puisse écarter leur électorat ordinaire. L’écologie reste la responsabilité de deux partis minoritaires, uniques dépositaires de la seule révolution politique du siècle passé. On pourrait regretter qu’ils ne fusionnent pas mais on réalise tout de suite que ce n’est pas possible. Il y a écologie et écologie.

La Suisse a doublé le mouvement initial de contestation antisystème, romantique, idéaliste par un autre centré sur une approche gestionnaire, réaliste, classique. L’écologie des Verts a toutes les allures d’une religion visant une réforme des mentalités et, à ce titre, elle est nécessaire. Elle est à la politique ce que les mystiques sont aux Eglises : on peut y être à la fois contre le nucléaire et cependant contre les éoliennes parce qu’elles abîment le paysage, parce qu’elles menacent les oiseaux. On peut s’enfermer dans le refus tous azimuts de la société industrielle. Il y a donc une pléthore d’engagements : la biodiversité, le véganisme, l’appui aux LGTB, le féminisme, les revendications sociales, l’antinucléaire, les médecines naturelles, le refus de l’élevage de masse. Ces revendications empiètent sur le fonds de commerce de la gauche classique, au point qu’en France EELV fait match égal avec le PS. Le problème n’est plus tellement la justice sociale mais la survie de l’humanité.

Or, le défi climatique est de plus en plus urgent et exige des actions concrètes, acceptables par le système politique suisse tellement traditionnel, consensuel et lent. Il faut arrêter les canicules, la sécheresse, les inondations, la fonte des glaciers. Maintenant, pas en 2050. Le besoin de mesures concrètes pour diminuer l’empreinte carbone signifie des bouleversements dans l’économie, les institutions, les administrations. Les pompes à essence, les distributeurs de mazout, des compagnies d’aviation, les piscines privées vont se raréfier et peut-être disparaître. L’importation de fruits et de légumes d’autres continents sera bannie. En sens inverse il faudra former des artisans qualifiés pour installer des cellules photovoltaïques, des pompes à chaleur, l’isolation des immeubles. Les communes apprendront à éteindre l’éclairage public et à imposer la même discipline aux vitrines des magasins.

Cependant simultanément, si l’on ne veut pas courir au-devant d’une révolution populaire, il faut réapprendre aux citoyens les vertus de la sobriété, le respect intransigeant de la de la planète, la stabilité économique plutôt que la croissance. Bref, lui faire ce qui apparaîtra de la morale, du civisme, de la solidarité. A la limite faire accepter des formes de rationnement.

Il existe donc un double défi : la révolution des mentalités par les Verts et la réforme du politique par les Verts ’libéraux. L’existence de deux partis spécialisés dans la protection de l’environnement plaide pour la qualité de nos institutions et la maturité du corps électoral, capables de sécréter spontanément les réponses à des défis variés et en partie contradictoires : faire rêver et gérer ce rêve, quitter le monde actuel tout en inventant un autre. Dans la mesure où ces deux partis accèderont à l’exécutif fédéral, il pourront « en même temps » diminuer l’empreinte carbone de la Suisse qui stagne pour l’instant, démontrer que la croissance actuelle n’est pas la seule voie possible et finalement prouver que l’écologie, à la fois branche de la Science et inspiration politique, n’est pas un mythe, un leurre, une fiction romanesque.

Si ce programme se réalise, les Verts effaceront le stigmate persistant du gauchisme, vert à l’extérieur et rouge à l’intérieur, cheval de Troie de la gauche révolutionnaire introduite frauduleusement dans les remparts de la société d’abondance. Ils ne seront plus seulement la mauvaise conscience du capitalisme mais une nouvelle inspiration, seule capable de s’opposer à la démagogie populiste.

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