Une chronique politique sans parti pris

Une rustine sur l’AVS

 

 

 

L’objet parlementaire des pensions est une sorte de patate chaude que les partis se refilent, tant l’urgence d’une solution s’impose et plus elle devient introuvable. Dernier avatar en date : le ministre des assurances sociales Alain Berset a défendu lundi l’âge de la retraite à 65 ans pour les femmes en vue de la votation du 25 septembre. Des compensations sont prévues à titre de consolation. Cette réformette ne garantit pas la pérennité des pensions mais elle fait croire que l’on s’en occupe.

L’AVS fait face à des difficultés financières et doit être réformée. Le besoin de financement sur les dix prochaines années s’élève à environ 18,5 milliards de francs. Et les tentatives de réforme ont toutes échoué en 25 ans, la dernière fois en 2017.

Il existe deux méthodes classiques pour assurer les pensions : la répartition, dite AVS en Suisse, utilise l’argent des cotisants, année après année, pour payer les retraites; la capitalisation, appelée LPP,  rassemble les cotisations versées par chacun des travailleurs dans un capital propre, qui est ensuite redistribué à partir de l’âge de la retraite.

Les deux méthodes possèdent des avantages et des inconvénients, qui sont complémentaires. La répartition suppose que le rapport entre travailleurs et retraités demeure constant.  S’il y a quatre actifs pour un retraité, chaque travailleur doit payer en moyenne une cotisation égale au quart du revenu assuré à un retraité. S’il n’y en a plus que deux, la charge de la cotisation double et devient insupportable. Dans ce cas, le système devient instable et doit être soutenu par d’autres sources provenant de l’argent public, c’est-à-dire des impôts et des taxes. En sens inverse, la capitalisation possède l’avantage de n’être pas soumis à ces fluctuations de la démographie.

Autant ces principes sont clairs, autant leur application est confuse. Entre les politiciens et les mathématiciens, il existe une différence fondamentale. L’homme politique parle de problèmes réels, sans savoir si ce qu’il en dit est vrai et même sans s’en préoccuper. Le mathématicien sait que ce qu’il dit est vrai, mais il parle de problèmes abstraits, ignorés de la politique. La difficulté consiste à discerner quelle est la part mathématique d’un problème politique pour en tenir vraiment compte.

En mathématique, comme en politique, il existe une catégorie de problèmes insolubles, Mais, dans le premier cas, on le sait et on ne perd pas de temps à s’en occuper comme pour la quadrature du cercle Les politiciens suisses en s’acharnant régulièrement sur la révision des pensions, sans la résoudre, ont confirmé qu’ils s’excitent pour un problème du type quadrature du cercle et qu’ils  ignoraient ce résultat élémentaire de mathématique.

Soit la donnée suivante : le système de pension par répartition, dit AVS,  distribue chaque année aux retraités les cotisations versées par les actifs. Problème : ce système permet-il de garantir à ceux qui ont cotisé toute leur vie qu’ils percevront la rente promise, lorsqu’ils prendront leur retraite, au bout de quarante ans ?

La réponse est positive, sous deux conditions : la durée de vie ne s’allonge pas ; les générations se succèdent sans variation de leur nombre. Or, la Suisse traverse une période où la durée de vie se prolonge, trois mois de plus chaque année, tandis que le nombre de naissances est en déficit d’un tiers par rapport au renouvellement des générations. Aucune des deux conditions nécessaires n’est vérifiée.

C’est donc non. Le problème tel qu’il est posé est insoluble. Il faut en changer les données. On a le choix entre plusieurs solutions : allonger la durée de la vie active ; relever les cotisations ; diminuer les rentes ; introduire dans le système des travailleurs qui ne sont pas nés dans le pays. On peut tourner l’équation dans tous les sens : le problème reste insoluble aussi longtemps qu’on ne change pas au moins une de ces quatre données.

Depuis la création du système jusque maintenant, sur plus d’un demi-siècle, la durée de survie à 65 ans a doublé, de dix à vingt ans. Même si le taux de naissance était resté stable plutôt que de diminuer, il faudrait  donc : soit augmenter de dix ans la durée du travail ; soit diminuer les rentes de moitié ; soit doubler les cotisations. Aucune de ces solutions n’est réaliste, car elles ruineraient la crédibilité du système et seraient refusées par le peuple.

Dès lors, la méthode politique – à rebours de la démarche mathématique – consiste à brouiller les idées, de façon à modifier un tout petit peu les données du problème, mais sans que personne ne s’en rende compte. L’astuce consiste à transformer simultanément un peu toutes les données, de façon à laisser croire que l’on ne touche pas vraiment à l’essentiel.

On continue à payer les pensions mais au rabais : ; en ne compensant pas tout de suite le renchérissement c’est-à-dire en diminuant le pouvoir d’achat des rentes ; en augmentant la TVA que les retraités paient aussi. Chacune de ces modifications est assortie de règles tellement compliquées qu’il est impossible de les comprendre et donc de les contester.

On n’augmente pas les cotisations, mais on accroit la TVA. Cela revient tout de même à faire payer les actifs par une taxe plutôt que par une cotisation. On taxe aussi les retraités, dont on diminue de la sorte le pouvoir d’achat sans qu’ils puissent protester, puisqu’on ne diminue pas la pension nominale.

Cependant la mathématique finit toujours par se venger : en augmentant la TVA, on renchérit le coût de l’entretien d’un enfant, on dissuade davantage les jeunes ménages d’en avoir et on augmente encore un peu plus le déséquilibre des générations. Telle est la nature des problèmes insolubles : si l’on s’acharne à les résoudre, on finit par se prendre au jeu et par s’atteler à une tâche impossible par définition. On aggrave, sans s’en rendre compte, le problème que l’on croyait avoir en partie résolu.

Il faudrait laisser la liberté au travailleur de choisir la date de sa prise de pension en augmentant le montant de celle-ci en proportion de la durée du travail. Chacun en aurait pour son compte en modulant la durée de la carrière par la pénibilité du trvail. Même avec cette cautèle, une telle proposition n’a aucune chance de passer en votation car chacun compte secrètement sur les autres pour garantir une pension supérieur à son dû. Ce marché de dupe est couvert par un beau mot, la solidarité.

 

 

Quitter la version mobile